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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

toute religion, et franchement athée. La Lettre de Thrasybule à Leucippe, imprimée depuis quelques années en Hollande, est bien certainement de lui. Je ne sais s’il est également et bien sûrement l’auteur de l’Examen impartial des apologistes de la religion chrétienne[1]. Vous croyez bien que M. Fréret et M. le comte de Boulainvilliers poussent de terribles arguments à M. l’abbé Couet, qui s’en tire comme il peut, demande à boire quand il est embarrassé, et finit par être de l’avis de ces messieurs et de madame la comtesse, qui dit aussi son mot. Le maître d’hôtel qui a servi ce Dîner est un homme d’une gaieté intarissable. On lui a reproché de n’avoir pas fait parler ses personnages chacun selon son caractère ; mais on ne peut reprocher à un homme de n’avoir pas exécuté ce qu’il ne s’est pas proposé. Son but était de faire, sous la forme d’un Dîner, un précis et un catéchisme de la religion naturelle, et non de faire parler trois ou quatre personnages célèbres selon leur caractère. On sait bien que Fréret était brusque et dur dans la dispute, et que l’abbé Couet n’était pas un esprit fort. Il est fort douteux que ce dernier ait jamais dîné chez le comte de Boulainvilliers ; M. de Voltaire sait tout cela mieux que ceux qui font ces observations. Il vivait dans la société du président de Maisons, qui arrive ici avec l’abbé de Saint-Pierre et Dumarsais à la fin de la conversation. Cette société était alors réellement composée des meilleurs esprits et des plus instruits ; mais ils étaient tous athées. Ce qu’il y a de plaisant, c’est qu’ils se cachaient alors de M. de Voltaire, à cause de sa jeunesse, et parce qu’il avait été de tout temps déiste zélé ; on le regardait dans cette société comme un estomac faible qu’il fallait supporter, et à qui la nourriture forte ne pouvait contenir. Le Dîner du comte de Boulainvilliers est resté excessivement rare, et je ne crois pas qu’il y en ait plus de six exemplaires à Paris. Ceux qui en sont friands feront bien de s’en approvisionner par la voie de la Suisse.

- M. de Saint-Hyacinthe, à qui le titre attribue le Dîner du comte de Boulainvilliers, était, je crois, militaire de son métier. La plaisanterie de Mathanasius pour ridiculiser les commentateurs empesés et emphatiques, plaisanterie qui eut une

  1. Cet ouvrage, nous l’avons déjà dit, est de Burigny. (T.)