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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

de sortir du royaume, en menaçant les protestants de Nîmes de condamner leurs concitoyens selon la rigueur des ordonnances, et promettant au contraire leur liberté si le ministre se soumettait à s’expatrier. Celui-ci crut devoir préférer l’intérêt public de son troupeau à l’intérêt de deux particuliers ; il persista dans la résolution de ne pas abandonner le pays, et les infortunés furent condamnés aux galères. Ils y furent conduits en effet. Le sieur Fabre y a gémi pendant près de sept ans. Au bout de ce temps-là, il eut le bonheur de faire parvenir à M. le duc de Choiseul un placet dans lequel il avait exposé ses malheurs. Ce ministre équitable et sensible lui fit expédier un brevet de congé qui lui rendit la liberté.

« Voilà, monsieur, l’histoire de l’honnête criminel, telle qu’elle s’est passée sous nos yeux, et que toute notre ville est en état de la raconter. Si M. de Falbaire désire d’autres éclaircissements, et qu’il veuille les tenir du héros lui-même, il peut écrire à M. Fabre le jeune, négociant à Ganges en Cévennes. Il me tarde beaucoup de connaître une pièce dont l’auteur, en montrant des sentiments si généreux, me donne une si bonne idée de ses talents. Je serais bien flatté si ce que j’ai l’honneur de vous mander peut lui être utile, et satisfaire sa noble curiosité.

« J’ai l’honneur d’être, avec tous les sentiments que je vous dois, etc.,

« Signé : Vincent. »

En conséquence de cette lettre, M. Fenouillot de Falbaire s’est adressé directement à M. Fabre, qui lui a fait la réponse suivante, datée de Ganges, du 14 décembre 1767 :

« Monsieur, j’ai reçu avec étonnement l’honneur de vos deux lettres, avec la pièce de théâtre que vous m’avez fait la grâce de m’envoyer sous le contre-seing de monseigneur le duc de Choiseul. J’ai lu tout de suite l’Honnête Criminel, qui m’a fait verser un torrent de larmes, au souvenir d’un père dont la tendresse pour moi était au-dessus de toute expression ; mais quant à l’action généreuse que vous exaltez avec tant de force, je l’ai toujours regardée comme for ordinaire, et que tout fils à ma place aurait faite pour son père. Cependant puisque vous désirez en savoir toutes les circonstances par un mémoire cer-