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AOUT 1768.

perdu et retrouvé, de Goldoni, ni dans aucune des pièces de cet auteur : elle est morte de maladie ou d’une complication de plusieurs maladies, n’ayant pas vécu, je crois, au delà de trente ans ; c’est une perte.

M. l’abbé Roger Schabol est aussi décédé depuis quelque temps, dans un âge avancé. C’était un fameux tailleur d’arbres fruitiers. Il prétendait avoir étudié à fond la taille de ces arbres ; mais les jardiniers en général le haïssaient beaucoup et décriaient sa méthode comme dangereuse, hérétique, malsonnante, encyclopédique et athéistique. L’abbé Roger, de son côté, traitait les jardiniers d’idiots et d’ignorants. Il se proposait de donner au public le fruit de ses recherches et de son expérience sous le titre de Théorie et Pratique du jardinage et de l’agriculture ; et il avait déjà publié un dictionnaire qui devait servir d’introduction à tout l’ouvrage. Depuis sa mort, le libraire a fait annoncer que rien ne retarderait la publication de cet ouvrage, dont le manuscrit avait été trouvé tout entier dans les papiers de l’auteur ; il se trouve cependant aujourd’hui qu’une partie de ce manuscrit est égarée, et le libraire en fait la recherche par la voie des papiers publics.


15 août 1768.

La langue française est de toutes les langues modernes la moins propre aux traductions. Elle a une marche si méthodique et si peu variée, elle exige une régularité si stricte et si timide, elle a tant de peine à se préserver des amphibologies et à se tirer sans obscurité de l’emploi de ses pronoms et particulièrement de ses pronoms relatifs ; elle est si antipériodique, c’est-à-dire que son génie est si opposé à la période, dont l’harmonie et la cadence, et l’enchevêtrure, s’il est permis à un grammairien de parler le langage d’un charpentier, faisaient un objet d’étude profonde pour les anciens orateurs et même pour les écrivains de l’Italie moderne ; elle a, en un mot, tant d’entraves de toutes parts, que je ne conçois pas comment un traducteur français peut se promettre de faire sentir par sa traduction la manière de son original. Si dans le grand nombre des traducteurs français il s’en est trouvé qui se le soient promis, je n’en connais aucun qui y ait réussi. La plupart sont restés