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bre 1767, de Nîmes, lieu de la scène, et elle a fait beaucoup de sensation à Paris.

« L’Honnête Criminel n’a point été envoyé ici, mon cher monsieur ; j’ai seulement ouï parler d’un exemplaire apporté par M. Alison ; mais je n’ai pu le voir dans les vingt-quatre heures que cet ami a resté ici. L’auteur mériterait sans doute le succès qu’il a obtenu, quand même son ouvrage n’y aurait d’autre titre que le choix du sujet. Ce choix décèle un cœur sensible et plein d’humanité, une âme honnête et compatissante, dont l’activité n’est arrêtée ni par les préjugés ni par la différence d’opinions. Ces qualités sont bien préférables aux talents de l’esprit, et vont rarement sans eux quand elles sont poussées à un certain degré.

« Le sieur Fabre, qui est le héros du drame dont vous me faites l’honneur de me parler, n’est plus ici. Son malheur, en ruinant sa petite fortune, en causant la mort de son père, l’a mis dans la nécessité d’abandonner sa patrie, et d’aller chercher un nouvel établissement dans une petite ville des Cévennes, où il pût vivre à moins de frais en travaillant. Il y a formé une petite fabrique de bas de soie : il y passe des jours paisibles avec une de ses parentes, qui a eu la constance et le courage d’attendre la fin de sa détention pour devenir son épouse. Il est sans ambition, et je ne crois pas qu’il se déterminât facilement à faire le voyage de Paris. J’en ai parlé à sa mère, qui a versé des larmes au récit que je lui ai fait des sentiments de M. de Falbaire ; elle m’en a témoigné la plus vive reconnaissance. Son unique désir serait d’obtenir pour son fils une grâce complète, telle que le sieur Turge, son compagnon d’infortune, l’a obtenue. Ce dernier a été rétabli dans ses biens, droits et honneur, au lieu que le sieur Fabre ne jouit de la liberté qu’en vertu d’un brevet de congé expédié par M. le duc de Choiseul, de sorte qu’il se trouve encore dépouillé des droits de citoyen, et incapable d’aucune action civile. Il serait bien digne du cœur généreux de Mme la duchesse de Villeroy de procurer l’entier rétablissement de cet honnête infortuné ; et je m’assure que M. de Falbaire aurait une vraie satisfaction de rendre son héros à la patrie.

« Il est aisé, monsieur, de vous donner les éclaircissements que vous désirez sur l’aventure du sieur Fabre. C’est un fait de