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JUILLET 1768.

absurdité, qui n’a pas le sens commun ; je lui passe même sa mauvaise humeur contre M. de Voltaire. On jouait les tristes et froides tragédies de ce La Grange-Chancel avec un certain succès, quand ce petit morveux de Voltaire est venu les chasser du théâtre par les siennes, de sorte que feu La Grange-Chancel a de beaucoup survécu à feu ses tragédies. L’auteur obscur des Mémoires secrets pour servir à l’histoire de Perse[1], dans lesquels on rapporte, sous des noms persans, des anecdotes de la cour et du règne de Louis XIV, dit que ce prisonnier était le comte de Vermandois, fils naturel de Louis XIV et de Mlle de La Vallière, et que son crime consistait à avoir donné un soufflet à M. le Dauphin. Permis à l’auteur obscur et ignoré de ces Mémoires secrets d’imprimer cette impertinence, quoique M. de Vermandois mourût à l’armée, à la fleur de son âge, au su et aux regrets de toute l’armée et de toute la France. Un livre aussi méprisé que ces mémoires ne mérite pas d’être réfuté. Vient M. de Saint-Foix, auteur de l’Oracle et des Grâces, petites pièces du Théâtre-Français, et des Essais historiques sur Paris, qu’il a commencés assez agréablement en conteur d’anecdotes, et qu’il a finis avec la prétention d’historien dont il est fort loin d’avoir les talents et le mérite. Ce M. de Saint-Foix a aussi un avis sur l’homme au masque de fer, et il l’annonce avec une emphase étonnante. Il n’y a rien de si ridicule que la gravité avec laquelle il discute ce fait historique de la manière du monde la plus absurde ; c’est Arlequin faisant le docteur et le savant, ce sont les difficiles nugæ d’Horace. M. de Saint-Foix prétend que le prisonnier au masque de fer était le duc de Monmouth, fils naturel de Charles II, roi d’Angleterre, et de Lucie Valters, lequel ayant fomenté une rébellion pendant le malheureux règne de Jacques II, et ayant été pris les armes à la main, eut la tête tranchée. M. de Saint-Foix fonde son opinion sur les bruits populaires qui couraient alors, qu’un officier qui ressemblait beaucoup au duc de Monmouth avait eu la com-

  1. On lit dans les Mélanges d’histoire, de littérature, etc., tirés d’un portefeuille (et publiés par M. Crawfurd), page 592, Paris, 1809, in-4° : « Une lettre, trouvée parmi les papiers de Mme du Hausset, femme de chambre de Mme de Pompadour, porte que les Mémoires secrets sont de Mme de Vieux-Maison, une des femmes les plus méchantes qu’on puisse voir. » Il en existe plusieurs éditions, dont quelques-unes ont une clef imprimée. La seconde édition, publiée en 1746, a été revue et augmentée. (B.)