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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

de la relation de mon ami Gottlieb, et je vais faire venir son ouvrage pour le lire dans l’original. Celui de M. de Surgy est curieux et instructif.

— Il nous est venu de Londres quelques exemplaires d’un livre intitulé le Gouverneur, ou Essai sur l’éducation, par M. D. L. F., ci-devant gouverneur des princes de Holstein-Gottorp ; volume in-12 de trois cent trente-deux pages[1]. Cet ouvrage est dédié à l’Impératrice de Russie. Je ne connais pas M. D. L. F., ainsi je ne saurais remplir les lettres initiales de son nom ; mais je vois que c’est un singe de Jean-Jacques Rousseau, qui a les mêmes défauts que lui, et qui n’en a pas les dédommagements. Le Lysimaque de M. D. L. F. est tout juste l’Émile de M. Rousseau, excepté qu’il est chaussé, et qu’il ne va pas pieds nus : il y a carmes déchaux et carmes chaussés ; il est élevé comme Émile dans la solitude de la campagne ; et vous remarquerez qu’il est tout à fait sensé d’élever loin des hommes ceux qui sont destinés à passer leur vie et à tenir leur place dans la société humaine. Cela est à peu près aussi sage que si l’on entreprenait de dresser sur une rivière, dans des bateaux, des bataillons d’infanterie destinés à faire la guerre dans des pays montagneux et escarpés. Le gouverneur de Lysimaque imite celui d’Émile jusque dans ses déclamations. Il fait une vive sortie contre l’éducation de collège ; mais il ne prend pas garde que M. Rousseau pouvait avoir raison de s’élever contre l’éducation des collèges de France, où la jeunesse n’est confiée qu’à des prêtres ou à des moines, et que l’éducation des collèges d’Angleterre, d’Allemagne, de Suisse, de Genève, pourrait malgré cela n’être pas mauvaise. Avec un peu de sens, il aurait pu remarquer que l’éducation est en général excessivement négligée dans les pays catholiques, et qu’elle est incomparablement plus soignée dans les pays protestants, et il en aurait tiré des conséquences plus justes et plus solides que ses lieux communs. Il aurait vu encore qu’il n’y a point de gouvernement catholique qui au fond ne redoute l’instruction des peuples, et ne la regarde comme contraire à son autorité ; et qu’il n’y a point de gouvernement protestant ou schismatique qui n’ait à cœur l’instruction des

  1. Londres et Paris, 1768, in-12. On le doit à M. de La Fare ; c’est ce que j’apprends par un catalogue de livres imprimé en Angleterre vers le même temps. (B.)