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CORRESPONDANCE LITTÉRAIRE.

prince, nous apprend qu’il n’y avait pas alors beaucoup de bons livres. L’auteur de l’Examen relève cette impertinence comme il convient. Et toute l’antiquité grecque et romaine, donc ! Bury croit, parce qu’il n’est pas en état d’en profiter, que c’est un trésor perdu pour tout le monde. « En ce temps-là, dit l’auteur de l’Examen, les âmes se nourrissaient des chefs-d’œuvre que nous osons mépriser aujourd’hui. Aussi ce siècle fut-il celui des grands talents réunis aux grandes vertus. » À parler plus exactement, les chefs-d’œuvre de l’antiquité grecque et romaine occupaient bien en ce temps les gens de lettres, dont les successeurs osent les négliger aujourd’hui ; mais ils n’étaient guère connus des gens du monde, qui étaient aussi ignorants que barbares. Ce fut le siècle des grands talents, parce que les dissensions civiles en font toujours éclore ; mais ces grands talents n’étaient certainement pas réunis aux grandes vertus. Il y eut sans doute des hommes vertueux, parce que dans la plus forte contagion de la maladie pestilentielle, il y a toujours quelques hommes qui lui échappent ; mais les mœurs publiques étaient en général atroces et effroyables. Le fanatisme et la superstition avaient répandu leurs fureurs sur une grande partie de l’Europe, l’énergie des âmes n’était que férocité, et la religion ne servait tour à tour qu’à autoriser et expier des crimes. M. de Voltaire sait encore cela aussi bien que nous. Si l’auteur de l’Examen paraît d’un sentiment contraire, c’est que l’Examen ne vient point de Ferney, ou que l’auteur a encore ici voulu donner le change.

Il faut, en finissant, relever un endroit remarquable de cette brochure. L’auteur parle de l’aversion de Henri IV pour la lecture. Il renvoie sur cela aux Mémoires de Duplessis-Mornay, « qui, dit-il, le lui reproche en termes exprès dans une lettre d’avis où l’on trouve un trait singulier, et si singulier, que c’est beaucoup de l’indiquer aux curieux ». Ce passage mérite de l’attention, et le premier moment que j’aurai à moi, j’irai feuilleter les Mémoires de Duplessis-Mornay pour découvrir un trait assez singulier pour que notre auteur, qui ose beaucoup, n’ait pas osé le rapporter[1].

  1. Il ne nous a pas été possible de retrouver ce passage. La seule édition moderne des Mémoires de Duplessis-Mornay est celle d’Auguis et La Fontenelle de Vaudoré, qui est restée inachevée et qui n’a pas de table générale.