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Mais ce ne fut qu’un ridicule
Que se donna notre héros,
Et s’il en perdit le repos,
Ce fut par excès de scrupule.
On dit qu’il en eut tant d’ennui
Qu’il se tua ; je veux le croire,
Mais n’en déplaise à sa mémoire,
Peu de gens feront comme lui ;
Car on peut dire à notre gloire
Que nous avons tous aujourd’hui
Une douceur bien méritoire
À supporter les maux d’autrui.
Mais quand dut se trouver à plaindre
Notre héros ? ce fut alors
Que, malgré son rang, ses trésors
Et ses eunuques, il dut craindre
D’être trahi ; car, entre nous,
Pour un amant fier et jaloux
(Et tout homme l’est à l’extrême),
N’est-ce pas une vérité,
Que voir mourir ce que l’on aime
Vaut mieux que d’en être quitté ?
Si vous doutez de mon système,
Interrogez tous vos sultans :
De ces messieurs Paris abonde ;
On ne voit qu’eux dans le grand monde,
Bien scélérats, bien séduisants,
Petits despotes de tendresse,
Un peu Français par la faiblesse,
Mais bien Turcs par les sentiments.
D’ailleurs, à quoi devait s’attendre
Notre héros ?… Mari jaloux
D’une Française jeune et tendre,
Ignorait-il que les verrous,
Ni tous les soins que l’on peut prendre,
N’ont jamais garanti l’époux
Quand l’épouse a voulu se rendre ?
Si l’on veut s’en mettre en courroux
Et tout tuer ; si l’homme sage
Ne sait pas s’armer de courage
Et braver ce léger hasard,
Maris, prenez tous un poignard :
Un peu plus tôt, un peu plus tard,
Vous pourrez tous en faire usage.
Oui, malgré les beaux sentiments
Si bien exprimés par Voltaire,
Malgré les vœux et les serments