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évident qu’il soit qu’il n’y aurait point de joueurs à la hausse s’il n’y avait point de joueurs à la baisse. Une partialité si prononcée n’a pas manqué de faire soupçonner les chefs de ce dernier parti, les Clavière, les Panchaud[1] et autres, d’avoir encore sollicité cette dernière production au même prix auquel ils avaient obtenu les précédentes.

Un reproche que l’on a bien plus de raison de faire à M. de Mirabeau, et qui porte sur l’objet même de son livre, c’est qu’il se borne uniquement à déclamer contre l’agiotage, sans proposer au gouvernement ou à MM. les notables, pour lesquels il semble surtout avoir voulu écrire, une seule vue, un seul moyen propre à arrêter la frénésie de ce jeu, qu’il condamne avec autant de justice que de violence et d’emportement. Pour prétendre à la reconnaissance due à l’écrivain qui cherche à éclairer son pays, suffirait-il donc de savoir exciter la curiosité maligne du public par les personnalités les plus odieuses, par les invectives les plus dures, par tous les artifices qui appartiennent au génie du libelle ? Et pour avoir ensuite l’audace de signer un pareil pamphlet, se croirait-on fort au-dessus de ceux qui, écrivant dans le même genre, se trouveraient encore ou trop de crainte ou trop de pudeur pour afficher un si triste métier avec le même courage ?

Parmi les noms que M. de Mirabeau s’est cru obligé de dévouer cette fois-ci au mépris et à l’indignation publique, c’est celui de l’abbé d’Espagnac qui lui a paru mériter la préférence. On sait que ce jeune ecclésiastique, qui avait annoncé d’abord quelques talents littéraires[2], jeté dans l’agiotage, s’y est acquis véritablement la plus grande célébrité. Il y a un an qu’il n’avait pas cinquante mille francs de fonds ; depuis ce temps, il n’a tenu plus d’une fois qu’à lui de réaliser deux ou trois millions. Aujourd’hui la hardiesse de ses spéculations a tellement enveloppé toutes les affaires, les a si étrangement enlacées, y a porté tant de trouble et d’embarras, qu’il est peut-être dans ce moment peu de maisons de banque à Paris dont la fortune ne

  1. C’est un homme d’esprit qui a fait banqueroute deux fois. M. de Mirabeau dit que c’est l’homme de nos jours qui sait le mieux concilier la morale et la politique. (Meister.)
  2. Il a fait un Éloge de Catinat qui obtint l’accessit à l’Académie française, et quelques Panégyriques de saints, entre autres celui de saint Louis. (Meister.)