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et se prépare à nous consoler de leur perte. En attendant, revenons modestement au nouveau théâtre.

Le Bouquet du sentiment, tombé à la première représentation, et l’oncle et le Neveu, autre comédie française en trois actes que l’on a été obligé de resserrer en un, ne sont guère propres à soutenir les espérances qu’on avait conçues de la rivalité de cette nouvelle troupe française.

Le premier essai des Bouffons Italiens attachés à ce même spectacle a été plus heureux : ce genre, vainement essayé à deux reprises, paraît devoir obtenir enfin le succès dont il a joui sur tous les théâtres de l’Europe, et qu’il aurait obtenu plus tôt à Paris, si la vanité française n’avait pas eu d’abord la prétention d’une musique nationale, si ensuite les disputes des Gluckistes et des Piccinistes, qui succédèrent à cette première prétention, n’avaient pas fait renvoyer avec tant de précipitation la troupe des Bouffons qui avait accompagné Piccini en France. Mais, quoique les ridicules préjugés en musique du peuple le moins chantant de l’Europe, quoique la guerre que se firent ensuite nos gens de lettres et que fomentaient nos compositeurs, aient empêché à deux reprises les Bouffons de réussir à Paris, il n’en est pas moins vrai que nous devons à ces deux essais, aux disputes même qu’ils ont occasionnées, la révolution musicale qui s’est opérée en France et les progrès que nous avons faits dans un art dont nous ne soupçonnions ni les moyens ni les effets, lorsqu’on entendit pour la première fois, il y a trente ans, de la musique italienne sur le théâtre de l’Opéra-Comique nous n’avions alors aucune idée de cette musique si animée et si piquante, si variée dans ses formes, où l’art semble se jouer des difficultés pour rendre toutes les finesses de l’expression, pour soutenir le charme de la mélodie de toute la richesse des accompagnemens les plus purs et les plus savans ; la méthode des premiers chanteurs italiens ne nous étonna pas moins que les chefs-d’œuvre de Pergolèse. Ce fut à cette époque seulement que ceux qu’un orgueil national mal entendu n’avait pas prévenus sans retour commencèrent à soupçonner que les Français n’avaient pas la musique par excellence, ni même la meilleure manière de l’exécuter. Les premiers Bouffons n’en furent pas moins persécutés par les partisans de Lulli et de Rameau, que le danger commun avait réunis ; ils forcèrent ces dangereux rivaux à quitter la France : mais le grand coup était