Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 15.djvu/373

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas ou prêt à produire. Il écrivait, il effaçait, il écrivait de nouveau pour effacer encore ; rassemblant, accordant avec le même soin, le même goût, le même art toutes les parties du discours ; il le prononçait à diverses reprises, se corrigeant à chaque fois, et, content enfin de ses efforts, il le déclamait de nouveau pour lui-même, pour son plaisir et comme pour se dédommager de ses peines. Tant de fois répétée, sa belle prose, comme de beaux vers, se gravait dans sa mémoire ; il la récitait à ses amis, il les engageait à la lire eux-mêmes à haute voix en sa présence ; alors il l’écoutait en juge sévère, et il la travaillait sans relâche, voulant s’élever à la perfection que l’écrivain impatient ne pourra jamais atteindre. »

Ceux qui ont connu particulièrement M. de Buffon ne manqueront pas de trouver que son panégyriste lui fait bien gratuitement les honneurs d’un sentiment de modestie qu’il n’était pas même en lui de feindre, lorsqu’en parlant de ce cabinet du roi enrichi par ses soins, par ses travaux et par sa gloire, il dit :

« Tout est plein de lui dans ce temple où il assista, pour ainsi dire, à son apothéose ; à l’entrée sa statue[1], que lui seul fut étonné d’y voir, atteste la vénération de sa patrie, qui, tant de fois injuste envers ses grands hommes, ne laissa pour la gloire de M. de Buffon rien à faire à la postérité. »

On a fort applaudi l’hommage rendu par M. Vicq d’Azyr aux personnes respectables[2] dont M. de Buffon s’était environné dans les dernières années de sa vie ; « à l’excellente amie qui a été témoin de ses derniers efforts, qui a reçu ses derniers adieux, qui a recueilli ses dernières pensées ; à l’illustre ami de ce grand homme, à cet administrateur qui, tantôt dans la retraite, éclaire les peuples par ses ouvrages, et, tantôt dans l’activité du ministère, les assure par sa présence et les conduit par sa sagesse… Des sentiments communs d’admiration, d’estime et d’amitié rapprochaient ces trois âmes sublimes… Avec quelle joie M. de Buffon aurait vu cet ami, ce grand ministre, rendu par le meilleur des rois aux vœux de tous, au moment où les représentants

  1. Qui n’a pas lu avec quelque surprise l’inscription fastueuse que M. de Buffon avait laissé graver en lettres d’or sur le piédestal de cette belle statue : Naturæ par ingenium ! (Meister.)
  2. M. et Mme Necker.