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elle perdait tout son sang. Tout à coup on annonce avec transport que le roi assemble ses sujets pour les consulter ; la réforme va enfin purger toutes les parties du gouvernement ; les prophéties de la raison vont s’accomplir ; des projets consacrés depuis longtemps par des génies philosophiques vont régénérer une administration caduque ; plus de préjugés, plus d’abus ; les Muses pensionnées chantent : Voilà Titus, voilà Sully… Les notables s’assemblent ; on leur donne quinze jours pour voir et juger ; ils restent trois mois, et le nouveau Sully finit par craindre d’être pendu.

« Quelle faute pour un ministre si habile et si spirituel, que de réunir cent quarante des principaux personnages du royaume, de leur soumettre ses opérations, ses projets et même toute son administration, puisque le présent ne pouvait manquer de ramener au passé ! Quoi ! c’est le clergé, la noblesse et les cours qu’il attaque, et c’est le clergé, la noblesse et les cours qu’il consulte ! Comment espérait-il gouverner cette masse imposante de crédit et de lumières, ou même la balancer ? N’avait-il pas seulement la conscience de ses fautes et de sa réputation ? Est-ce dans des moments de ruine et de discrédit qu’on entreprend de si grandes révolutions ? Connaissait-il si peu les hommes et lui-même ?… » Ainsi ont raisonné, après l’événement, tous les esprits superficiels qui forment le grand nombre de ceux même qu’on nomme gens d’esprit.

Un seul mot peut-être suffirait pour répondre à toutes ces questions comment eût-il fait autrement ? Le trésor était vide ; le dernier emprunt n’était point rempli ; un nouveau était impossible ; le refus des cours eût été inébranlable ; les grandes et petites ressources du crédit étaient épuisées ; l’agiotage, créé par lui, détournait tous les fonds des caisses auxiliaires ; ce monstre assassinait son père enfin. M. de Calonne n’avait point d’argent, il n’avait point de crédit, et il voulait rester en place.

Telle est la nature des gouvernements modernes, que l’argent est en même temps l’arme la plus dangereuse et le frein le plus puissant du despotisme ; les dépenses des États excédant toujours leurs revenus, ils ont un continuel besoin du crédit qui, soumis lui-même à l’opinion, met le dominateur dans la dépendance de ceux qu’il domine quand on manque d’argent, il faut emprunter ; mais c’est la confiance qui prête, la force même ne peut