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put le laisser un instant ni plein ni vide ; tandis que les prodigalités publiques et secrètes, les édifices fastueux, les acquisitions fictives, les échanges ruineux, les remboursements des dettes surannées, les privilèges, les remises, la multiplicité des emplois et des départements, les traitements excessifs, épuisaient constamment les caisses, les emprunts onéreux, l’extension tant des nouveaux que des anciens, les anticipations outrées, les services des financiers, services utiles surtout à ceux qui les rendent, la refonte des espèces, la création d’offices, les suppléments de finances, toutes les inventions bursales et fiscales les comblaient incessamment.

Alors point de compagnies exclusives, point de genre d’actions et d’effets qui ne fussent accueillis pour favoriser cet agiotage, toujours ami des ministres déprédateurs et prodigues, parce que sa circulation fictive et forcée est merveilleusement propre à déguiser les manœuvres ruineuses du gouvernement.

Enfin M. de Calonne avait donné pour entrer, il donna pour rester, il donna ensuite parce qu’il avait donné ; un mélange de faste, d’intérêt et de légèreté lui fit une infirmité habituelle de cette profusion. Les femmes s’écriaient autour de lui qu’il était charmant ; les hommes, qu’il était noble, généreux, obligeant, bienfaisant ; d’abord il ne s’y trompa point ; on le répéta, il le crut à la fin lui-même.

Il redoubla ses largesses aveugles qui ne faisaient que des ingrats ou plutôt qui n’en pouvaient point faire, puisqu’elles étaient ou involontaires ou intéressées. Les arts même entrèrent un moment dans cette distribution ; ils eurent les miettes de la table du mauvais riche ; mais ses bienfaits n’honoraient ni le protecteur ni les protégés qui eurent besoin que la faveur les portât, sans choix, sous la pluie d’or qui tombait de ses mains.

Les bons esprits prédisaient le dénoûment de ses coupables extravagances ; mais la cour et la ville étaient peuplées de ses complices ; des premiers degrés du trône aux dernières classes de la société, tous les états dévoraient l’État ; il aidait tous les abus, il stipendiait tous les vices, la corruption universelle le soutenait, et pourtant il est tombé.

Trois ans s’étaient écoulés pendant cette monstrueuse dilapidation ; les veines de la France ne pouvaient plus se fermer,