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du grand vizir[1] ; ils demandèrent avec beaucoup d’empressement s’ils ne pourraient pas voir sa tête : Oh ! non, car il n’en avait pas. Quel est l’événement de notre histoire qui ne soit marqué par quelque calembour plus ou moins ridicule, plus ou moins plaisant ?

— Le 28 juillet, on a donné, sur le Théâtre-Italien, la première représentation des Trois Déesses rivales, ou le Double Jugement de Pâris, divertissement en un acte, mêlé d’ariettes et de danses. Les paroles sont de M. de Piis, la musique de M. Propiac. Il y a lieu de croire que le premier objet du poëte a été de célébrer les talents réunis des trois demoiselles Renaud, qui font l’ornement du théâtre auquel il destinait cet ouvrage ; ce dessein, d’ailleurs très-louable, l’a engagé à s’écarter beaucoup et de l’esprit de la fable, et du ton même de son sujet.

Le style de cet ouvrage, sans avoir toujours ni le ton du sujet, ni celui des personnages, a cependant plusieurs détails brillants ; il est même beaucoup plus soigné que ne l’est communément celui de M. de Piis. Quant à la musique, elle nous a paru agréable, et souvent très-analogue à l’esprit des paroles.

Le mercredi 6 août, on a donné, sur le même théâtre, la première représentation des Arts et l’Amitié, comédie en un acte et en vers libres. On ignore jusqu’ici le nom de l’auteur, on sait seulement qu’il sert dans les gardes du corps[2]. Le fond de cette comédie est tiré d’un conte assez leste de M. Gudin de La Brenellerie, qui parut il y a quelques années dans un recueil intitulé Graves Observations de l’Ermite Paul[3]. C’est un des plus jolis ouvrages que nous ayons vus depuis longtemps à ce théâtre ; ce qui en fait le premier mérite est une simplicité vraiment originale ; le dialogue, à quelques longueurs près, a de la grâce, de la facilité, beaucoup de délicatesse et de naturel. Le fond, si l’on veut, en est toujours un peu leste, mais l’exécution n’en pouvait être ménagée avec plus de décence et de goût ; c’est un tableau rempli de l’illusion la plus séduisante, mais une vapeur d’innocence en adoucit, si j’ose m’exprimer ainsi, tous les tons et tous les traits. Cette petite

  1. Loménie de Brienne, que Necker remplaça au ministère des finances. (Ch.)
  2. Nous venons d’apprendre qu’il se nomme M. de Bouchar, et que c’est un très-jeune homme. (Meister.)
  3. Paris, 1779, in-12.