Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 15.djvu/307

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Une des plus belles lettres du premier volume est sans contredit celle où l’auteur rend compte du gouvernement de la Toscane, et de la conversation qu’il eut l’honneur d’avoir avec S. A. R. Il rappelle plusieurs objections faites contre les principes et les effets de l’administration du grand-duc. Écoutez, dit-il, ma conversation sur ces objets avec une personne très-instruite ; et après les détails de cette intéressante discussion, il ajoute : « À qui ai-je fait ces objections ? qui les a ainsi résolues ? un écrivain ? un magistrat ? un particulier ? C’est le grand-duc, c’est lui qui a cette raison, cette simplicité, cette facilité… C’est le grand-duc qui m’a parlé pendant une heure debout dans un cabinet, où une simple table est un bureau, des planches de sapin sans couleur un secrétaire, un bougeoir de fer-blanc un flambeau ; car le grand-duc n’a d’autre luxe que le bonheur de son peuple… Et le grand-duc ne règne que sur la Toscane !… Il ne règne, dit-il dans un autre endroit, ni pour les nobles, ni pour les riches, ni pour les ministres, mais pour son peuple ; il est vraiment souverain.

« Enfin, je vois Rome… je vois ce théâtre où la nature humaine a été tout ce qu’elle pourra être, a fait tout ce qu’elle pourra faire, a déployé toutes les vertus, a étalé tous les vices, a enfanté les héros les plus sublimes et les monstres les plus exécrables, s’est élevée jusqu’à Brutus, a descendu jusqu’à Néron, est remontée jusqu’à Marc-Aurèle… Cet air que je respire à présent, c’est cet air que Cicéron a frappé de tant de mots éloquents, les Césars de tant de mots puissants et terribles, les papes de tant de mots enchantés, etc. »

Quoique la sensibilité de M. Dupaty nous paraisse quelquefois aussi maniérée que la tournure de son style, elle laisse échapper souvent des mots également profonds et vrais. « On prétend, dit-il en parlant du superbe hôpital des Incurables, à Gênes, on prétend que cet hôpital est plus mal administré que les autres ; c’est que les maux qui sont ici sont éternels, et que la pitié est inconstante. La pitié aime ce qui est nouveau ; tant le cœur humain est volage. »

Le portrait qu’il fait dans une autre lettre de Mme la comtesse d’Albany nous semble porter également le caractère de vérité le plus simple et le plus attachant : « S’il ne fallait que des cœurs pour remonter sur le trône de ses pères, elle y remonterait avant