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remplie d’affectation et de mauvais goût ; à force de chercher à donner aux moindres détails de l’effet et de l’éclat, il a fait perdre à l’ensemble de ses tableaux cette pureté de trait, cette unité de ton qu’il sait si bien apprécier lui-même dans les chefs-d’œuvre du génie et des arts. En jugeant presque tout ce qu’il voit d’après les meilleurs principes, comment a-t-il pu s’en éloigner à ce point dans la manière d’exprimer et son jugement et ses impressions ?

La vérité, qui nous paraît manquer souvent au style de M. Dupaty, ne manquerait-elle pas quelquefois aussi à ses observations ? Il prétend qu’un événement singulier plongea, il y a quelque temps, les galériens de Toulon dans le plus profond désespoir. « L’intendant de la marine, dit-il, reçoit l’ordre de séparer en trois classes les déserteurs, les contrebandiers et les criminels. Il semble que les déserteurs et les contrebandiers auraient dû bénir cette séparation ; leur désespoir fut extrême. Tous les galériens, en effet, ajoute-t-il, se voient du même œil ; car le malheur est comme la mort, il met de niveau tous les hommes… Réfléchissez sur ceci ; fouillez ces nouvelles profondeurs du cœur humain. » Avant de fouiller, avant de réfléchir, avant de croire, ne serait-il pas convenable de s’assurer plus exactement de la vérité du fait ? Des circonstances particulières peuvent sans doute rapprocher, dans le malheur, des hommes d’une espèce absolument différente ; mais est-il vrai que le malheur mette de niveau tous les hommes, le plus coupable comme celui qui l’est le moins ? C’est là, ce me semble, l’exagération d’une fausse pitié.

Lorsque, pour décrire le fameux Incendie del Borgo, par Raphaël, l’auteur commence par dire « Le feu prit hier pendant la nuit dans la place de Saint-Pierre, à côté du Vatican… Je m’en revenais chez moi, à la place d’Espagne, etc… » comment n’a-t-il pas senti que l’effet d’une pareille fiction, au lieu d’être un moyen de frapper l’attention, n’était propre qu’à la déjouer, et que, bien loin de porter l’admiration au comble, il ne donne à ses lecteurs que la plus sotte surprise du monde, quand il termine sa longue description en récit par cette magnifique exclamation : « Ah ! que ce tableau de Raphaël, que l’on voit au Vatican, est admirable !… » Voilà précisément ce qu’on appelle faire de l’imagination comme on fait de l’esprit.