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« La matière est trop grave pour laisser la liberté de la plaisanterie, et le cœur trop affligé pour avoir d’autre accent que celui du gémissement. Notre foi ne tient point aux événements, et notre salut ne dépend que de notre volonté. La charité amour, la charité support, nous conduiront au ciel, où je désire que madame la maréchale n’aille que lorsque la terre n’aura plus besoin d’édification. »




AVRIL.

La Double Tromperie, comédie en trois actes et en prose, donnée au Théâtre-Italien le 19 février, pour la première et dernière fois, est imputée à M. le marquis de La Salle, l’auteur de l’Officieux, de l’Oncle et les tantes, etc. Cette pièce a été écoutée jusqu’au bout avec une patience extrême ; mais on l’a sifflée avec la même énergie. L’immoralité que présente le fond de l’action a eu moins de part à cet acte de rigueur que l’invraisemblance de la conduite, et surtout la platitude et le mauvais ton du dialogue, tout farci de mauvais calembours et d’équivoques grossières.

— C’est le vendredi 29 février qu’on a donné, sur le Théâtre-Français, la première représentation de Méléagre, tragédie en cinq actes de M. Lemercier[1] à peine âgé de seize ans.

On imagine aisément quel concours de monde a dû attirer la première représentation d’une tragédie composée à un âge où il paraît si difficile de concevoir et d’exécuter raisonnablement le plan d’un drame quelconque. La Grange-Chancel, plus célèbre par ses Philippiques contre le régent que par ses tragédies, avait offert déjà l’exemple de cette espèce de prodige littéraire ; il donna, au même âge que M. Lemercier, sa tragédie de Jugurtha ; quelques années après, il essaya de mettre au théâtre la fable de Méléagre ; mais il ne fut pas plus heureux dans cette dernière tentative que ceux qui avaient traité ce sujet avant lui,

  1. Fils de M. Lemercier, secrétaire des commandements de M. le duc de Penthièvre. Cet intéressant jeune homme est presque entièrement paralysé du côté droit ; il n’avait que quinze ans lorsqu’il a commencé sa pièce. (Meister.)