Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/98

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tirer, et le pape y avait consenti. Malheureusement il ne se trouva pas assez riche pour exécuter ce dessein. Le pape, par des raisons qu’il serait trop long de déduire, ne voulait pas donner le chapeau à M. l’abbé de Fleury. Polignac se jeta aux pieds du pontife pour le fléchir ; il sentait que si le pape s’obstinait, on en rendrait responsable le ministre. Le pape se laissa toucher par l’affliction de Polignac, et se rendit aux sollicitations de la cour de France. Les expériences de Newton sur les couleurs avaient été tentées plusieurs fois en France, et toujours sans succès. Le cardinal de Polignac soutint toujours que des choses avancées par Newton ne devaient pas être niées légèrement, et il fit recommencer ces expériences, qui réussirent presque toutes. On ne peut croire combien les Anglais ont eu de reconnaissance pour Polignac. Un seigneur étranger attaché au service d’Angleterre, et qui vivait à Rome sous la protection de la France, tint un jour à Polignac des discours peu mesurés ; le cardinal lui dit avec un sérieux mêlé de douceur : « J’ai ordre, monsieur, de protéger votre personne et non pas vos discours. » Le cardinal de Polignac parlait très-bien, mais il parlait tout le temps ; le cardinal de Fleury, au contraire, faisait très-bien la conversation ; sur quoi Voltaire dit un jour que des dialogues de Fleury et des monologues de Polignac on ferait une très-bonne pièce. Maupertuis disait de cette Éminence qu’elle parlait bien mieux des choses qu’elle n’entendait pas que les autres hommes ne parlent des choses qu’ils savent le mieux. Mme la duchesse du Maine, entendant expliquer certain système de philosophie un peu hardi, demanda à ce propos au cardinal quelle différence il y avait entre elle et sa montre : « C’est, madame, lui répliqua Polignac, que votre montre marque les heures et que vous les faites oublier. »

Les Talents lyriques, ballet représenté pour la première fois en 1739, viennent d’être remis au théâtre avec grand succès. La musique est du célèbre Rameau : je ne crois pas que personne soit tenté de revendiquer les paroles. Rameau a dit qu’il mettrait en musique la Gazette de France ; je ne suis pas éloigné de le croire puis qu’il y a mis les Talents lyriques. Cet ouvrage a été fait dans la société de Mme Bersin. Bien des personnes y ont travaillé, aussi le style n’en est-il pas uniforme, ce qui est un plus grand défaut dans un poëme lyrique que dans tout autre.