Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jamais, disait-il, il parait être toujours de mon avis, et je ne sais comment pour l’ordinaire il m’entraîne toujours dans le sien. » Louis XIV dit aussi dans le même temps : « Il m’a toujours contredit, et il m’a toujours plu. » Vous savez, madame, qu’en 1692 il fut chargé d’aller mettre le prince de Conti sur le trône de Pologne ; il ne réussit pas, et fut relégué dans son abbaye. Quand le duc d’Anjou fut appelé à la succession d’Espagne, l’abbé de Polignac écrivit à Louis XIV : « Sire, si les nouvelles prospérités de votre maison ne font pas finir mes malheurs, elles me les font du moins oublier. » Ce mot plut si fort au roi qu’il fut rappelé. L’abbé de Polignac fut envoyé à Rome en qualité d’auditeur de rote. Le cardinal de La Trémouille, chargé dans cette cour d’une affaire que Louis avait fort à cœur, écrivit qu’il ne pouvait rien sans Polignac qui, en effet, obtint tout de Sa Sainteté. Les deux ministres écrivirent chacun de son côté au monarque, et ils se faisaient réciproquement honneur du succès de la négociation. Le roi, charmé d’un procédé si noble, le répandit dans toute la cour. Polignac, indigné, à Gertruidemberg où il était plénipotentiaire de la France, de la hauteur des Hollandais, leur dit : » On voit bien, messieurs, que vous agissez en gens qui ne sont pas accoutumés à vaincre. » Les Hollandais, voyant d’un mauvais œil le congrès d’Utrecht, voulurent l’empêcher : « Messieurs, leur dit Polignac, nous traiterons chez vous, nous traiterons sans vous, nous traiterons de vous. » Vous savez, madame, que sur la fin du règne du feu roi, le jansénisme, qui avait pour chef le cardinal de Noailles, fit beaucoup de bruit. Louis, qui sut que le cardinal de Polignac excusait Noailles, lui dit d’un ton sévère : « Monsieur, la vérité n’est qu’une : vous vous plaignez à moi du cardinal de Noailles et dans le public vous parlez différemment, expliquez-vous désormais d’une même façon. » Polignac fut atterré par ce mot. Parlant un jour confidemment à une dame, il lui dit que le roi le regardait comme un homme superficiel, Mme de Maintenon comme un homme léger, les cardinaux de Rohan et de Bissy comme un homme qu’ils avaient mis à leurs pieds, le public comme un homme déshonoré. Le cardinal de Polignac, étant ministre du roi à Rome en 1724, forma le projet de détourner le Tibre. Il savait que dans les révolutions romaines le parti victorieux jetait dans l’eau les statues du parti abattu : il avait formé le dessein de les en