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fiance aux vaincus et rétablir peut-être les affaires. Quoi qu’il en soit, le prince a paru chagrin de la publication de cette histoire. Par son ordre et sur ses mémoires, M. de Bougainville travaille à un ouvrage entier et exact sur cette matière.

— Vous connaissez, madame, le théâtre anglais ; il est sans mœurs, sans décence, sans règles ; ces insulaires sont naturellement si sombres, si tristes, si mélancoliques, que les scènes les plus fortes, les plus hardies, les plus outrées, ne le sont jamais trop pour les distraire ou pour les toucher. Les Français, qui dans leurs voyages ont le ridicule de n’estimer que leur pays, ont la manie, lorsqu’ils sont chez eux, de ne guère goûter que ce qui est étranger ; leur folie est maintenant pour la tragédie anglaise. Le président Hénault vient d’en publier une dans ce goût-là, qui occupe tous les esprits ; elle est en prose ; tous les événements d’un règne tumultueux y sont renfermés ; les personnages qui y agissent sont sans nombre : on l’intitule François Second[1]. L’auteur a cherché à y jeter quelque intérêt en faisant contraster les factions des Guises et des princes du sang, lesquelles déchirèrent alors les entrailles de la France. Malgré cela, l’ouvrage est très-froid ; tout son mérite se réduit à être bien écrit et bien raisonné. Ce M. Hénault est ici un homme à la mode ; il a passé sa jeunesse dans la congrégation de l’Oratoire, où il a fait de très-bonnes études. Sorti de sa retraite, il a débuté dans le monde par des chansons charmantes, talent qui, chez une nation aussi frivole que la nôtre, conduit quelquefois à la grande réputation. Il a publié depuis un Abrégé de l’Histoire de France, morceau précieux qu’on n’estime ce qu’il vaut que quand on l’a lu dix fois. Jamais personne n’a mieux connu peut-être et n’a mieux fait connaître le gouvernement, les intérêts, le génie des Français, que cet excellent écrivain.

— Nos comédiens, qui échouent souvent avec d’excellentes pièces, viennent de réussir avec une médiocre ou même mauvaise ; elle est intitulée Amestris[2]. Le style de cet ouvrage est naturel, mais faible ; le sentiment vrai, mais usé ; les situations

  1. François II, roi de France, tragédie en cinq actes et en prose. Paris, 1747, in-8 ; seconde éd. enrichie de notes, s. 1. (Paris), 1768, in-8o.
  2. Par Mauger, Représentée le 3 juillet 1747.