Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
68
NOTICE PRÉLIMINAIRE.
N° 1.

« Le premier homme, etc., et le renvoya. »

Voilà, madame, tout ce que vous aurez de moi ce courrier. J’espère que vous voudrez bien me faire marquer si j’ai saisi ou manqué votre goût. Je suis déterminé à ne rien négliger pour contribuer à l’amusement d’une dame, la gloire de son sexe et un peu la honte du nôtre. Depuis que quelques hommes passent leur vie à la toilette, il est convenable qu’il y ait des dames comme vous qui vivent avec Leibnitz ou avec Racine.

Nous ignorons qui avait jeté les yeux sur Raynal pour remplir cette fonction de correspondant littéraire si fort à la mode au XVIIIe siècle. Nous ne savons pas davantage s’il s’en lassa, comme le dit Meister, ou si le manuscrit de Gotha présente des lacunes ; toujours est-il que les années 1752 et 1753 manquent entièrement ; les nouvelles reprennent au milieu de 1754 et se succèdent sans interruption jusqu’en février 1755, c’est-à-dire lorsque la correspondance de Grimm avait lieu depuis trois ans. Raynal était-il en concurrence avec lui ? Continuait-il pour la seule duchesse de Saxe-Gotha ce que Grimm avait entrepris dès lors pour la plupart des princes allemands ? S’il ne fut pas à un moment donné le correspondant de Frédéric II lui-même, ce ne fut pas la faute de Voltaire, qui le recommandait en ces termes à Darget, le 21 avril 1750 :

Voici une espèce d’essai de la manière dont le roi votre maître pourrait être servi en fait de nouvelles littéraires. L’abbé Raynal, qui commence cette correspondance, a l’honneur de vous écrire et de vous demander vos instructions. C’est un homme d’un âge mûr, très-sage, très-instruit, d’une probité reconnue, et qui est bien venu partout. Personne dans Paris n’est plus au fait de la littérature depuis les in-folio des bénédictins jusqu’aux brochures du comte de Caylus ; il est capable de rendre un compte très-exact de tout, et vous trouverez souvent ses extraits beaucoup meilleurs que les livres dont il parlera. Ce n’est pas d’ailleurs un homme à vous faire croire que les livres sont plus chers qu’ils ne le sont en effet : il les met à leur juste prix pour l’argent comme pour le mérite. Je puis vous assurer, monsieur, qu’il est de toute façon digne d’une telle correspondance.

La proposition n’eut pas de suites, pensons-nous : Frédéric, très-mécontent de Thiériot qui ne pouvait avoir un rhume sans qu’il en fût informé par un galimatias de quatre pages[1], refusait plus tard pour correspondants Suard, que lui proposait d’Alembert, et La Harpe qui s’offrait lui-même[2].

À cette époque, Raynal était depuis longtemps revenu à ses études historiques et aux compilations de librairie[3] par lesquelles il préludait à sa

  1. Lettre à Mme du Châtelet, 23 janvier 1739. Œuvres de Frédéric, éd. Preuss, t. XVII, p. 14.
  2. Ch. Nisard. Mémoires historiques et littéraires inédits, p. 87.
  3. Raynal a même reproduit dans l’une d’elles (Anecdotes littéraires, Paris 1750, 2 vol. in‑12, et La Haye, 1756, 1 vol. in‑12) quelques-unes des particularités concernant Boileau, La Fontaine, etc., que l’on retrouvera plus loin.