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NOUVELLES LITTÉRAIRES

lui avoir donné une excellente éducation, elle l’envoya à l’une des cours de l’Europe où elle espérait que Cromstad pourrait trouver le baron de Saint-Eugène, à qui elle avait écrit plusieurs fois inutilement. Le hasard conduisit précisément le jeune baron au comte, qui était ambassadeur dans cette cour. Sur sa physionomie noble et agréable, le comte lui fit quelques questions. Ses réponses lui firent connaître son fils. Il s’assura de la vérité, qu’il laissa ignorer au baron, le retint auprès de lui en qualité de page, et l’emmena ensuite avec lui en France. À peine Cromstad et Adélaïde se virent, qu’ils eurent l’un pour l’autre une tendre amitié. Elle fut troublée par Angélique, la sœur de lait d’Adélaïde, que cette jeune personne avait prise auprès d’elle et dont la fausseté et l’artifice formaient le caractère. Le marquis d’Anglure, qui recherchait Adélaïde en mariage du consentement de leurs pères réciproques, fut averti par Angélique de l’attachement de Cromstad pour Adélaïde et de leurs entretiens secrets, auxquels elle donna le plus mauvais tour. Sur ces entrefaites, Cromstad partit pour se rendre à l’armée du maréchal de Créquy. Le marquis d’Anglure l’y suivit bientôt, après avoir fait part au comte de Saint-Eugène de ses ingénieuses conjectures. Il en fut charmé, et en écrivit au baron lui-même, qui se justifia ; mais Cromstad et le marquis d’Anglure avaient trop à se plaindre l’un de l’autre pour ne pas se battre. Cromstad blessa le marquis.

Il usa si généreusement de sa victoire qu’il se le réconcilia. Ce combat vint à la connaissance du comte et de la comtesse de Saint-Eugène. Cette triste nouvelle aigrit leurs soupçons. Le comte, pour arrêter un attachement si funeste, apprend à Adélaïde la naissance de Cromstad et lui recommande le secret. Cette aimable fille, autorisée par les liens du sang, donne de nouvelles marques de son amitié à Cromstad, après son retour de la campagne où il s’était distingué. Le marquis d’Anglure en est instruit à son arrivée. Sa jalousie augmente. La comtesse était tous les jours dans de nouvelles alarmes sur sa fille. M. de Saint-Eugène la rassura enfin par l’aveu qu’il lui fit de tout le mystère de son amour. Elle en aima davantage Cromstad, et l’on travailla à marier Adélaïde avec le marquis d’Anglure, et Cromstad avec Angélique. L’éducation qu’elle avait prise au couvent où on l’avait mise l’avait rendue digne des attentions