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NOUVELLES LITTÉRAIRES

l’auteur. Ce sont partout de petits tableaux, des Albane ou des Rosalba qui forment des allégories galantes.

Il n’y a point de fond dans cette brochure ; ce sont deux jeunes amants qui vont à Cythère, et on conte ce qu’ils y voient. Le Temple de Gnide du président de Montesquieu semble être l’original sur lequel l’auteur du voyage a tracé le sien. Dans le premier, il y a plus de sentiment que d’esprit, plus d’agrément, de tendresse, de galanterie. Dans le second, il y a de l’esprit, fort peu de tendresse, quelques traits agréables, et souvent des fautes de style qu’on ne saurait trouver dans le premier.


LXX

1er juin 1750.

Les Comédiens français donnèrent samedi dernier la première représentation de Cléopâtre, tragédie de M. Marmontel. Tout le monde convient qu’il n’y a point d’ordre dans le plan, point d’intérêt dans les situations, point de vivacité dans le dialogue, point de dignité dans les caractères, point de décence dans les mœurs, point de naturel dans la versification. C’est un des plus mauvais ouvrages qu’on ait jamais vus au théâtre. La pièce fut presque huée depuis le commencement jusqu’à la fin. Les deux représentations suivantes ont été plus flatteuses pour l’auteur, par le soin qu’a eu M. de Villegagnon d’y envoyer un grand nombre de mousquetaires. Ce qui rend si vif cet officier sur le sort de Cléopâtre, c’est que Mlle Clairon, sa maîtresse, y joue le principal rôle. À force de machines et de corrections, on poussera la nouvelle tragédie à sept ou huit représentations ; ce sera toujours un monstre. Le première représentation de Cléopâtre ayant été suivie de la petite comédie Crispin rival de son maître, le chevalier de L’Hôpital fit l’épigramme suivante :


De Corneille, dit-on, Marmontel est rival ;
Après sa Cléopatre on pourra le connaître,
Puisqu’il se fait jouer en propre original :
PuisC’est Crispin rival de son maître.