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NOUVELLES LITTÉRAIRES.

On raillait dans un cercle un homme extrêmement jaloux, et on lui demandait s’il aimerait mieux être cocu que pendu : « Pendu, répondit-il sur-le-champ et avec vivacité. — Monsieur, lui dit Burigny, madame ne le souffrirait pas. »

— On a représenté, le lundi 12 de ce mois, Oreste, tragédie nouvelle de M. de Voltaire, qui devait être intitulée Électre. Aristote dit dans sa poétique que ce sujet, ainsi que celui d’Œdipe et de Mérope, ne peut manquer de réussir sur la scène, quand même il serait traité par un poëte médiocre. En effet, le caractère d’Électre doit faire impression dans tous les temps, puisqu’il a toutes les qualités qu’on peut désirer dans le héros d’une tragédie. Ses projets de vengeance inspirent la terreur, et son sort déplorable excite la pitié la plus tendre. Chez les Grecs, Sophocle, leur plus fameux tragique, a admirablement traité ce sujet suivant les mœurs d’Athènes. Euripide et Eschyle y ont également réussi. En France, M. de Longepierre et M. Crébillon ont aussi fait une Électre. Le premier eut un grand succès à la cour, et tomba à la ville. On fut assez content du plan et de la conduite de sa pièce, mais elle est si misérablement écrite qu’on ne put l’entendre que quatre ou cinq fois. Il est vrai qu’il y eut un intervalle de douze ans entre la représentation de la cour et de la ville, et que, pendant cet intervalle, M. Crébillon donna sa tragédie, qui fut applaudie avec justice. Il y a surtout beaucoup de force et de chaleur, et elle se soutient au théâtre avec beaucoup de réputation depuis quarante ans, ce qui rend l’entreprise de M. de Voltaire également hardie et difficile.

Son premier acte a été bien reçu, le second a excité de grands applaudissements, le troisième a été jugé froid et languissant, la fin du quatrième a réchauffé le spectateur, et le cinquième a été trouvé détestable ; mais, en convenant que cet acte n’est pas digne de l’auteur, on ne peut s’empêcher de dire que le public a marqué de l’humeur en refusant de l’entendre tout entier, ce qui a déterminé M. de Voltaire à retirer sa pièce pour y faire des changements qui ont paru huit jours après. Le public y est venu en foule, et a fort applaudi ; ce qui fait dire aux mécontents, qui ne sont pas en petit nombre, qu’il n’y avait à la seconde représentation que le parterre de changé. Les amis de M. de Voltaire louent beaucoup son ouvrage, les amis