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NOUVELLES LITTÉRAIRES.

met la scène, et avec l’effet que cela doit produire dans l’action totale. Par exemple, l’on a dans une scène à dire bonjour ; ce mot est bien simple, et tout le monde entend cela ; mais ce n’est pas assez d’entendre que c’est une politesse qui se fait aux gens qui arrivent ou que l’on aborde. Il est mille façons de dire bonjour suivant le caractère et la situation. Un amant dit bonjour à sa maîtresse avec cette douceur et cette affection qui fait connaître ses sentiments pour celle qu’il salue ; un père le dit avec tendresse au fils qu’il aime et avec une froideur mêlée de chagrin à celui dont il est mécontent. Un avare même, en disant bonjour à son ami, doit se montrer occupé d’inquiétude. Le jaloux marque une colère que la bienséance empêche d’éclater en saluant un jeune homme qu’il est forcé de recevoir contre son gré. Une suivante dit bonjour d’un ton flatteur et insinuant à l’amant aimé de sa maîtresse, et d’un ton brusque au vieillard qui cherche à l’obtenir sans son aveu. Le petit-maître salue avec une politesse affectée et mêlée d’un ton d’orgueil qui démontre que, s’il veut bien vous saluer, c’est par bonté et qu’à la rigueur il n’y serait pas obligé. L’homme dans la tristesse dit bonjour d’un air affligé. Un fourbe salue celui qu’il va duper d’un ton qui doit inspirer la confiance à l’objet de sa trahison et où le spectateur doit apercevoir qu’il médite une fourberie. Dans le chapitre de l’expression, l’auteur a une idée neuve qui me paraît belle et vraie. On croit communément que, pour qu’un acteur exprime avec force les sentiments de son rôle, il faut qu’il en soit affecté. Riccoboni prétend, au contraire, que si on a le malheur de ressentir véritablement ce que l’on doit exprimer, on est hors d’état de jouer. Les sentiments se succèdent dans une scène avec une rapidité qui n’est point dans la nature. La courte durée d’une pièce oblige à cette précipitation qui, en rapprochant les objets, donne à l’action théâtrale toute la chaleur qui lui est nécessaire. Si, dans un endroit d’attendrissement, vous vous laissez emporter au sentiment de votre rôle, votre cœur se trouvera tout à coup serré, votre voix s’étouffera presque entièrement ; si vous devez alors passer subitement à la plus grande colère, cela vous sera-t-il possible ? Non, sans doute.

Dans le chapitre des caractères, Riccoboni dit que le caractère influe si fort sur toute la personne, qu’il donne à celui qui