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NOUVELLES LITTÉRAIRES

— Puisque je ne puis avoir le plaisir de vous entretenir de bons ouvrages, je ne me refuserai pas la consolation de vous conter une action héroïque qui fait le sujet de toutes les conversations de Paris. Parmi les vagabonds qu’on prend tous les jours pour envoyer dans nos colonies, il s’est trouvé un mendiant qui avait été, il n’y a pas longtemps, domestique du juge qui l’a interrogé et qui l’a reconnu. Après quelques réflexions générales sur la bassesse du métier, le magistrat a demandé à son ancien laquais ce qui avait pu le déterminer à choisir ce genre de vie : « Les besoins de mon maître, a répondu le mendiant ; je sers un officier, homme de condition et chevalier de Saint-Louis, que la réforme a privé de tout ce qu’il avait ; je trouve dans la charité publique de quoi me faire subsister avec lui. » La cour, informée d’une aventure si singulière, a fait à l’officier une pension de huit cents livres dont, en cas de mort, la moitié est reversible au laquais.


LXV


Riccoboni fils, acteur du Théâtre-Italien, sans figure, sans voix, sans grâce, sans physionomie, et qui ne devient supportable que par l’esprit et l’intelligence qu’il met dans son jeu, vient de publier un ouvrage intitulé l’Art du théâtre[1]. Cet écrivain place un acteur tragique et comique dans toutes les situations où il peut se trouver, et il lui enseigne tout ce qu’il doit faire pour bien jouer son rôle. Il lui forme le geste, la voix, la déclamation, lui apprend à avoir de la grâce, de la dignité, de la noblesse, l’élève au ton des passions, du sentiment, de la plaisanterie. Quelques traits choisis de ce livre vous le feront mieux connaître.

L’auteur définit l’intelligence du comédien le talent qu’il a de concevoir à chaque instant le rapport que peut avoir ce qu’il dit avec le caractère de son rôle, avec la situation où le

  1. L’Art du théâtre, à madame ***, suivi d’une lettre au sujet de cet ouvrage. Paris, Simon fils, 1750, in-8.