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NOUVELLES LITTÉRAIRES

est convaincu qu’elle est de l’abbé de Voisenon[1]. Le sujet de la pièce est une femme qui est aimée de son amant, et qui ne se peut pas tirer de la tête qu’il aime uniquement sa rivale. C’est tout ce que j’ai pu comprendre dans un ouvrage sans intrigue, sans nœud, sans dénoûment, sans ordre, sans liaison et sans ombre de bon sens. Il y a pourtant dans l’ouvrage quelques vers heureux, d’assez jolies épigrammes et quelques plaisanteries très-fines qui produiraient un fort bon effet si elles étaient bien placées. Ce spectacle, tel que j’ai l’honneur de vous l’annoncer, attire cependant tout Paris, parce qu’il est suivi d’un ballet très-plaisant. Nous méprisons ici beaucoup le Théâtre-Italien, et par une contradiction assez ordinaire chez nous, on va s’y amuser préférablement au Théâtre-Français. Je me souviens à ce propos d’une plaisanterie qui m’a fait rire autrefois et qui peut-être ne vous déplaira pas.

Un homme fut trouver, il y a quelques années, le plus grand médecin que nous ayons en France, appelé Chirac : « Monsieur, lui dit-il en l’abordant, je me porte mal, et ma maladie, ce sont des vapeurs. — Monsieur, répartit le médecin, je vous ordonne, pour tout remède, d’aller à la Comédie-Italienne et d’y voir jouer Arlequin, qui est très-agréable et très-plaisant. — Monsieur, répliqua le malade, cet Arlequin, c’est moi. »

— L’opéra de Zoroastre continue à essuyer des contradictions. La cour s’est déclarée contre avant qu’il parût ; la ville ne lui a pas fait un accueil bien favorable, et les gens que nous regardons ici comme musiciens appellent de ce jugement à la postérité. Ils prétendent que cet ouvrage est le chef-d’œuvre de Rameau, et par conséquent de l’art. Les profanes ont comparé cet opéra au musicien, qui est long, sec, noir et dur.

Le poëme essuie encore plus de contradictions que la musique. On prétend que Mlle Carton, la plus ancienne et la plus spirituelle de nos filles d’opéra, faisait quelques critiques à Gahusac : « Vous avez raison, lui dit ce poëte, on a donné trop tôt cet ouvrage, et la poire n’était pas encore mure. — Cela ne l’empêchera pas de tomber, repartit la chanteuse. » Ce mot me rappelle ce que j’ai ouï dire à un de nos philosophes : « Il en est,

  1. Elle a en effet été réimprimée au tome II des Œuvres complètes de Voisonon. Paris, 1781, 5 vol.  in-8.