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NOUVELLES LITTÉRAIRES.

toutes les vertus de l’âme, est fort recherchée en mariage. La honte de sa naissance et la modestie de son caractère lui font préférer un homme sage et peu riche avec lequel elle se retire en province. Des besoins pressants la rappellent à Paris, où les agréables de la ville et de la cour tentent inutilement d’abuser de sa situation pour la corrompre. Son père, homme sans pudeur et sans mœurs, l’engage à se retirer chez lui et met tout en œuvre pour la déterminer à vivre avec lui dans le désordre. Favoride, au lieu de s’éloigner de ce lieu d’horreur, s’amuse à faire ses plaintes à un parent de son père appelé Bacojus. Le jeune homme, qui a commencé par devenir le confident de la belle Favoride, devient bientôt son consolateur. Ils prennent l’un pour l’autre un goût qui dégénère en passion. Cet agréable commerce est interrompu par une affaire malheureuse qui oblige Bacojus à s’éloigner. L’amante ne peut résister à une séparation si cruelle, et son désespoir la conduit au tombeau.

Tel est le plan d’un roman qui a fait tant de bruit avant que de paraître, et dont personne ne se souviendra dans huit jours. Vous n’y trouverez ni situation, ni sentiment, ni image. C’est une métaphysique de cœur plutôt obscure que profonde ; des réflexions triviales ou mal rendues ; un style dur, inégal et où le défaut de correction n’est pas racheté par des grâces négligées, ou par des expressions de génie. M. du Châlet est la preuve qu’on peut avoir beaucoup d’esprit et faire un mauvais livre. Il avait déjà montré qu’on pouvait être un médiocre officier avec la valeur la plus héroïque. Nous n’avons peut-être pas en France de militaire plus intrépide que lui. Un mot va vous le peindre. On lui montrait un jour une montagne escarpée, où on lui disait qu’il était impossible de grimper : « J’y monterais, dit-il froidement, s’il y avait des canons. »

Mlle de Saint-Phalier, qui nous donna, il y a un an, un mauvais livre intitulé le Portefeuille rendu, vient d’en donner un autre sous ce titre : les Caprices du Sort, ou l’Histoire d’Emilie[1]. Cette jeune personne, née d’un mariage secret et privée, avant que de naître, de son père, par un malheur qui l’avait forcé à chercher un asile hors de sa patrie, et de sa mère par le chagrin, est élevée à la campagne par sa nourrice

  1. Paris, 1756, in-12.