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NOUVELLES LITTÉRAIRES.

traduit du docteur Berkley[1]. Ce système, tout absurde qu’il est, trouve, dans un amas de sophismes plus séduisants les uns que les autres, de quoi confondre la raison la plus fière. L’ouvrage est divisé en trois dialogues, dans le premier desquels on s’applique à dépouiller la matière de toutes ses qualités sensibles ; dans le second à démontrer l’impossibilité de son existence ; dans le troisième à répondre aux difficultés que l’on forme contre ce système. L’auteur commence par ôter à la matière les qualités sensibles que le vulgaire lui attribue, tels que sont le froid, la chaleur, les odeurs, etc. Sa grande raison est fondée sur ce que toutes ces qualités sont des sensations agréables ou douloureuses, lesquelles ne peuvent se trouver dans une substance destituée de perception. Il passe ensuite aux qualités primitives dont les philosophes enrichissent les corps qui sont l’étendue, la figure, la solidité, etc. ; il prouve que ces dernières ne sont pas plus inhérentes à la matière que ne le sont les autres. « Si elles l’étaient, dit l’auteur, elles devraient être fixes et invariables comme la matière. Or, puisque ces choses varient selon la diversité des organes et selon le point de vue sous lequel on les aperçoit, c’est une preuve qu’elles sont dans nous et non dans la matière. La matière ainsi dépouillée de toutes ses qualités sensibles, que peut-elle être, sinon une substance chimérique ? » Si vous dites que la matière est le substratum, comme on parle dans l’école, le soutien des qualités sensibles, l’auteur vous demandera à quoi vous êtes redevable de la connaissance de cet être-là. Ce ne peut être par les sens, car ils n’aperçoivent immédiatement que les modes et les qualités. Ce ne peut donc être que par la voie de la réflexion et de la raison. L’auteur vous attaquera dans ce dernier retranchement avec beaucoup d’avantage, car il vous prouvera que ce substratum doit être répandu sous les qualités sensibles qu’il soutient, et par conséquent sous-entendu. Or, comment ce qui est différent de l’étendue peut-il en être le soutien ? Pour démontrer l’impossibilité de la matière, l’auteur fait revivre toutes les difficultés que les anciens sceptiques faisaient contre le mouvement, l’étendue, la divisibilité de la matière à l’infini ; mais

  1. Dialogues entre Hylas et Philonous contre les sceptiques et les athées. Traduit de l’anglais par l’abbé Gua de Malves. Amsterdam (Paris), 1750, in-12.