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NOUVELLES LITTÉRAIRES.

Sampierro, qui travailla si fort, environ vers 1560, à briser les fers des Corses ses compatriotes, amena sa femme en France, d’où il partit pour aller solliciter le secours des Turcs. Ce fut durant ce voyage que Sampierro apprit que Vanina d’Ornano, sa femme, avait pris la résolution de passer à Gênes, soit qu’elle voulût retourner dans la Corse, sa patrie, soit qu’elle voulût ménager une réconciliation entre les Génois et son mari. Elle s’était embarquée à Marseille, mais un des amis de Sampierro s’étant jeté dans une felouque, la joignit à la hauteur d’Antibes et la ramena à Aix. Sampierro l’y joignit à son retour et lui ordonna de le suivre. Le Parlement s’y opposa, mais cette femme généreuse ne voulut pas paraître craindre son époux. Il la mena à Marseille et la tint trois jours enfermée dans sa chambre. Ensuite il lui déclara qu’il fallait mourir. Elle s’y détermina avec une résolution au-dessus de son sexe et lui demanda pour toute grâce que, puisqu’il était le seul homme qui l’eût touchée jusqu’alors, elle ne reçût pas la mort d’une autre main que la sienne. Sampierro, sans être attendri, délia les jarretières de sa femme et l’étrangla. M. Marmontel m’a dit que cette histoire lui avait donné l’idée de son Aristomène.

En 1746, les Autrichiens, maîtres de Gênes, exigèrent que le sénat envoyât au commandant de Savone ordre de se rendre ; mais cet ordre n’eut point d’effet. Le marquis Augustin Adorne, qui le reçut, répondit qu’il s’était toujours fait gloire d’obéir à la République tant qu’elle avait été libre ; mais depuis qu’elle ne l’était plus, il ne pouvait se résoudre à obéir à des ordres dictés par les oppresseurs de sa patrie. Charmé de voir que la noblesse de ses sentiments avait passé dans tous les esprits, il lut un testament qu’il avait fait, par lequel il instituait héritiers de tous ses biens, qui étaient considérables, les femmes et les enfants des officiers et des soldats de cette brave garnison avec laquelle il était résolu de périr sous les débris de sa citadelle.

M. de Voltaire vient d’imprimer sa tragédie de Sémiramis, si longtemps attendue. Elle est pleine, comme tout ce que nous avons de ce grand écrivain, de noblesse, de hardiesse et d’harmonie ; il a osé y mettre du merveilleux, et l’opinion où nous sommes en France que la vraisemblance est essentielle au poëme dramatique a nui au succès de cette pièce.

La tragédie est précédée d’une dissertation sur la tragédie