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NOUVELLES LITTÉRAIRES

mettre qu’il se démît du poste de capitaine de ses gardes en faveur de son ami. Ce gentilhomme en jouit pendant trois ans ; après sa mort, le duc d’Ormond le rendit à son généreux bienfaiteur. Durant les troubles du roi Jacques II, Roscomon se retira à Rome ; il disait à ses amis, à ce sujet, qu’il était beaucoup plus à propos d’être près de la cheminée quand la chambre était remplie de fumée.

M. Trochereau a traduit encore le poëme de la Renommée de M. Pope ; voilà en trois jours deux assez mauvaises traductions d’un bon ouvrage. Les autres morceaux contenus dans le recueil que je vous annonce sont trop peu de chose pour mériter quelque attention.

— L’abbé Lenglet du Fresnoy vient de publier, sous le nom supposé d’abbé d’Artigny, un ouvrage intitulé Nouveaux Mémoires d’histoire, de critique et de littérature[1]. Ce sont des remarques recueillies de tous côtés sans goût, sur l’histoire ancienne, sur la chronologie, sur les rabbins, sur les éditions, sur les auteurs, etc. C’est véritablement un ouvrage à la mosaïque. Je n’ai trouvé dans toute cette compilation qu’un trait qui m’ait fait plaisir. Le voici : M. Bond, célèbre Anglais, avait fait traduire la Zaïre de Voltaire ; les comédiens ayant différé de la représenter sous divers prétextes, cet homme passionné pour le théâtre se joignit à plusieurs de ses amis pour la jouer, et il se chargea du rôle de Lusignan. Les premiers actes furent exécutés avec un applaudissement universel. On attendait Lusignan ; il parut, et tous les cœurs commencèrent à s’émouvoir à la seule vue de ce grand prince. M. Bond lui-même se livra tellement à la force de son imagination et à l’impétuosité de ses sentiments que, se trouvant trop faible pour soutenir tant d’agitation, il tomba sans connaissance au moment qu’il reconnaît sa fille. On se figura d’abord que c’était un évanouissement contrefait et tout le monde admira l’art avec lequel il imitait la nature. Cependant la longueur de cette situation commençant à fatiguer les spectateurs, Chatillon, Zaïre et Nérestan l’avertirent qu’il

  1. Raynal prend pour un pseudonyme du savant érudit le nom réel d’un autre érudit, Antoine Gachet d’Artigny, né en 1704, à Vienne en Dauphiné où il est mort en 1778. Ses Nouveaux Mémoires d’histoire et de littérature ne devaient former que deux volumes ; le succès encouragea l’auteur à en donner cinq autres (1749-1756).