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de nous donner la traduction en prose de quelques ouvrages anglais#. Sa préface est destinée à apprécier le mérite littéraire des Anglais et des Français. Il y a peu de goût, beaucoup de déclamation et une pédantesque profusion d’érudition dans ce long et ennuyeux morceau.

Le premier ouvrage traduit est l’Essai sur la poésie de Buckingham ; c’est peu de chose en comparaison de l’Essai sur la critique de Pope, et moins que rien auprès de l’Art poétique de Boileau, chef-d’œuvre de goût et de poésie. Ce duc de Buckingham est le même qui, étant obligé de quitter la cour, alla voyager avec le duc de Rochester dans les diverses provinces d’Angleterre pour chercher des aventures. Sur je ne sais quelle route, ils aperçurent un cabaret fermé où était cette inscription : Maison à louer. L’envie les prend tout à coup d’être cabaretiers et ils l’exécutent. D’abord ils se bornèrent à se réjouir des passants, et ensuite ils déclarèrent la guerre aux maris des environs ; ils les invitaient, leur faisaient bonne chère ; et quand ils les avaient enivrés, ils allaient à leurs filles et à leurs femmes. Bientôt on ne parla dans la province que de la générosité des deux cabaretiers, le bruit parvint jusqu’au roi qui eut la curiosité de voyager de ce côté-là pour voir ce qui en était : il reconnut les deux cabaretiers, les ramena avec lui et les admit plus que jamais à sa familiarité.

La Manière de traduire les poëtes, par mylord Roscomon, est le second morceau du recueil. Le défaut ordinaire aux auteurs anglais de ne pas lier les parties de leur ouvrage est sensible dans celui-ci, où il y a d’ailleurs du goût, de la poésie et de l’imagination. Roscomon était un des plus généreux et des plus sages seigneurs de son siècle. On dit qu’un soir qu’il se retirait fort tard, il fut attaqué par trois scélérats qui étaient apostés pour l’assassiner. Il se battit avec tant de courage qu’il perça le premier ; un gentilhomme qui passait par hasard vint à son secours, désarma le second de ses assassins, et mit en fuite le troisième. Ce gentilhomme était un officier réformé, d’une bonne famille, fort estimé, mais extrêmement pauvre. Pénétré de la reconnaissance la plus vive, Roscomon présenta son brave défenseur au duc d’Ormond, vice-roi d’Irlande, et le supplia de per-[1]

  1. Choix de différents morceaux de poésie. 1749, in-12.