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clarté et d’élégance. Les hardiesses qui s’y trouvent font qu’on la répand avec une sorte de précaution et de mystère. Le magistrat a sévi plus d’une fois contre des ouvrages où il y avait moins de philosophie.

— Depuis environ douze ou quinze mois, un jeu appelé la comète est devenu le jeu de tout le monde. M. de Boissy, attentif à saisir tous les petits ridicules, s’est emparé de ce sujet et l’a traité pour le théâtre italien. Je sors actuellement de ce spectacle, composé d’une comédie, d’un vaudeville et d’un ballet : tout cela s’est trouvé si misérable qu’on n’a pu finir la représentation.

— Notre très-illustre et très-célèbre musicien, M. Rameau, prétend avoir découvert le principe de l’harmonie. M. Diderot lui a prêté sa plume pour mettre dans un beau jour cette importante découverte[1]. Le ministère a jugé à propos que ce système fût développé par son auteur dans une assemblée de l’Académie des sciences. Le public attend avec impatience le triomphe d’un artiste qu’il adore, et qui lui procure tous les jours des plaisirs si vifs.

  1. Cette collaboration de Diderot aux ouvrages du grand Rameau n’est pas, que nous sachions, autrement établie. Un passage du livre de Ch. Barney (De l’état présent de la musique en France, en Italie, etc., traduit par C. de Brack, Genève, 1809-1810, 3 vol. in-8), pourrait seul confirmer le dire de Raynal. Burney visita Diderot en décembre 1770, et après avoir entendu sa fille Angélique jouer du clavecin, obtint du philosophe non-seulement la communication de ses manuscrits sur l’art musical, mais leur abandon. Il ne peut être question du manuscrit du Traité d’harmonie signé par Bemetzrieder, qui parut en 1771. Que sont devenus les papiers de Ch. Burney ? Voici l’extrait de son livre :

    « J’ai causé souvent avec M. Diderot, j’ai eu lieu d’être charmé de trouver que parmi toutes les sciences que son vaste génie et sa profonde érudition ont embrassées, il n’y en a aucune qui l’intéresse plus particulièrement que la musique, Mlle Diderot, sa fille, est une des plus fortes clavecinistes de Paris, et pour une femme elle avait des connaissances extraordinaires sur la modulation. Quoique j’aie eu le plaisir de l’entendre pendant plusieurs heures, elle n’a pas joué un seul morceau français. Tout était italien ou allemand ; d’où il n’est pas difficile de fonder son jugement sur l’opinion du goût de M. Diderot dans la musique. Il entra avec tant de zèle dans mes vues sur l’histoire de son art favori qu’il me présenta une quantité de ses propres manuscrits qui auraient suffi pour un volume in-folio pour ce sujet. Je les regarde comme inappréciables venant d’un tel écrivain : « Les voici, prenez-les, me dit-il, je ne sais ce qu’ils valent. S’ils contiennent quelques matériaux pour votre projet, employez-les dans le cours de votre ouvrage comme votre propriété, sinon, jetez-les au feu. » Mais malgré cette cession légale je me considère moi-même comme comptable de ces papiers non-seulement à M. Diderot, mais au public. »