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de l’automne mûrissait à vue d’œil. Comment le cacher ? La mère de Sainte-Isidore s’aperçoit de la mélancolie de sa fille ; elle en veut savoir la cause. Mais quel coup de foudre quand Sainte-Isidore lui déclare l’état où elle est ! La douleur de la mère est si vive qu’elle ne survit que quinze jours. Enfin, Sainte-Isidore, après bien des chagrins, se détermine à entrer en religion. Voilà, en substance, ce que contiennent ces lettres. Le style en est long et plat, les images basses et communes, la narration froide et insipide ; sans la singularité et la qualité de l’auteur, je ne vous aurais pas parlé de l’ouvrage, qui est dédié à Mme la marquise de Pompadour.

M. Diderot, un de nos plus profonds métaphysiciens et de nos plus ingénieux écrivains, vient de publier un ouvrage intitulé Lettres sur les aveugles, à l’usage de ceux qui voient[1]. Cette production doit son origine à l’opération d’un aveugle-né à qui M. de Réaumur vient de faire abattre la cataracte. Il paraît que le but de l’auteur est de prouver que les aveugles-nés ont des idées différentes de ceux qui voient ; que leur morale, leur métaphysique n’est pas la même ; qu’ils croient que l’âme est au bout de leurs doigts ; qu’ils ont une autre idée de la Divinité que nous ; qu’il est impossible de leur prouver l’existence de Dieu par les merveilles de la nature ; qu’ils sont naturellement insensibles, inhumains, amis de l’ordre, ennemis du vol, soit parce qu’on peut aisément les voler, soit parce qu’eux-mêmes ne peuvent pas facilement le faire sans être aperçus ; enfin, que leur statique est plus sûre que la nôtre parce qu’ils se sont fait de leurs bras des balances si justes et de leurs doigts des compas si expérimentés, qu’ils perçoivent à merveille le poids des corps et la capacité des vaisseaux ; que la surface des corps n’a guère moins de nuances pour eux que le son de la voix, et qu’il n’y a point à craindre qu’un aveugle prenne sa femme pour une autre, à moins qu’il ne gagnât au change ; enfin un aveugle-né est un prodige. L’auteur insiste sur deux aveugles célèbres, l’un en France, l’autre en Angleterre.

M. Diderot alla, il y a peu de jours, à Puiseaux, village dans le voisinage de Paris, pour y voir un aveugle-né ; il le trouva occupé à distiller des liqueurs ; s’étant avisé de lui en témoigner

  1. Londres (Paris), 1749, in-12.