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lustre ; qu’elle prend nos humeurs, nos passions momentanées, pour nos vices, et qu’un peu moins d’ivresse dans sa gloire et surtout plus de sang-froid dans les guerres qu’on excitait contre lui l’auraient fait jouir de cette tranquillité qu’il cherchait depuis longtemps et dont il me paraissait si digne. Je ne voyais en effet en lui qu’une sensibilité trop grande, que trop peu de défiance pour ses premiers mouvements, qui avaient semblé l’égarer quelquefois, mais qui jamais n’avaient altéré les principes respectables de son cœur. J’y voyais l’humanité, l’honneur, l’amitié, gravés comme dans ses écrits, et le génie de l’île me parut bien rigide d’avoir compris dans sa punition les défauts qui nous viennent du sang aussi bien que ceux qui partent de notre âme. »


PORTRAIT DE L’ABBÉ LE BLANC.

« Je remarquai un homme assez laid et dont le front et les regards impudents arrêtèrent mon attention. J’eus bientôt développé tout son caractère : homme de néant et sans fortune, il cherchait à en imposer par la réputation d’un talent assez peu décidé, dur, caustique et peu sociable. Il s’était paré, comme tous les ours de son espèce, de tout ce qui peut adoucir quelquefois des défauts aussi considérables, c’est-à-dire qu’il avait sans cesse à la bouche les mots de probité, d’honneur, qu’il avait peut-être, mais qui ne sont, à vrai dire, qu’un très-léger mérite chez ceux qui n’ont passé ni par les places importantes, ni par les dignités, ni par les grands emplois ; qui n’ont aucune relation avec la république, qui y vivent isolés par état et par nécessité. Le talent, ou plutôt la ressource honnête contre l’indigence dans laquelle cet homme aurait vécu malgré tout le mérite qu’il se croyait, était de se connaître à toutes les superfluités que le luxe avait imaginées. Il en faisait un petit commerce clandestin, et lui-même s’en était assez bien fourni aux dépens de toutes les dupes qui passaient depuis longtemps par ses mains. »

— La tragédie d’Aristomène a été interrompue au milieu de son succès et après la sixième représentation, par une maladie