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NOUVELLES LITTÉRAIRES

tion par la hardiesse des conséquences et à séduire l’esprit par l’enchantement de leurs principes. Ce qu’il y a de mieux traité dans cet ouvrage, c’est l’exposition ou la réfutation des systèmes de Leibnitz et de Spinosa. Le système des monades a des fondements peu solides ; mais l’édifice en est hardi, extraordinaire, et par là très-propre à séduire l’imagination. L’auteur l’expose avec netteté et le réfute, ce me semble, avec succès. Le système de Spinosa fournit un exemple bien sensible des abus où entraînent les systèmes abstraits ; il n’a ni la clarté des idées ni la précision des signes. Bayle a réfuté Spinosa en lui opposant les conséquences qu’il tire de ce système. Cette façon de réfuter ne frappe pas si fortement au but, car si ces conséquences ne sont pas des suites de ce système, ce n’est plus Spinosa qu’il attaque ; et si elles en sont des suites, Spinosa répondra qu’elles ne sont point absurdes et qu’elles ne le paraissent qu’à ceux qui ne savent pas remonter aux principes des choses. On ne réussit jamais mieux à renverser un système qu’en détruisant ses principes. Or, c’est ce que fait l’abbé de Condillac : il démontre que Spinosa n’a nulle idée des choses qu’il avance, que ses définitions sont vagues, ses axiomes peu exacts, et que ses propositions ne sont que l’ouvrage de son imagination. Bayle, en attaquant les fantômes qui en naissent, imite ces chevaliers errants qui combattaient les spectres des enchanteurs ; l’abbé de Condillac a fait plus, il a détruit l’enchantement.

Mme de Lussan, qui a passé sa vie à faire des romans historiques, vient encore, quoique âgée de quatre-vingts ans, d’en publier un qui est sec, froid et sans invention[1]. En voici l’idée.

Marie d’Angleterre, sœur d’Henri VIII, joignait à une beauté parfaite un esprit aimable, séduisant et supérieur ; on ne pouvait se défendre de l’aimer : Charles de Brandow, duc de Suffolk, favori du roi et digne de l’être, ne put résister aux charmes de cette princesse, dont il avait gagné la confiance par des leçons utiles et des louanges données à propos : mais il voilait son amour avec tant de prudence que Marie même ne s’en apercevait pas. À la fin, il devint rêveur et avoua l’état de son âme à la princesse qui l’en pressa fort. Marie, après avoir traité Suf-

  1. Marie d’Angleterre, reine-duchesse. Amsterdam (Paris), 1749, in-12.