Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/318

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec l’auteur et qui le déterminaient à l’admiration. Ce sentiment a prévalu sur l’autre ; et Aristomène, après avoir roulé par terre jusqu’au quatrième acte, est monté aux nues où il se soutient. Les connaisseurs, les gens de l’art réclament, il est vrai, contre ce succès ; mais le parterre est ferme dans son admiration, et ne se laissera pas sûrement renverser.

Trois réflexions finiront ce que j’ai à dire sur cette tragédie : 1° comme le grand mérite de l’auteur est de faire des vers, le premier acte est le meilleur ; 2° les deux principales situations de la pièce, qui sont le choix qu’on lui laisse de sauver sa femme ou son fils, et le parti qu’il prend de vouloir égorger son fils pour arrêter les fureurs de l’armée, sont tirés, à ce qu’on m’a dit, de l’opéra de Rhadamiste et Zénobie, de l’abbé Metastasio ; je n’ai pas ce livre sous la main pour vérifier le fait ; 3° le sujet de cette tragédie est tiré de l’histoire de Corse ; on l’a mise sous des noms grecs pour lui donner un air plus imposant.

— L’abbé Condillac, le seul Français qui écrive aujourd’hui avec succès sur la métaphysique, avait donné, il y a un an, l’Essai sur l’origine des connaissances humaines. Le succès de cet ouvrage l’a déterminé à publier un Traité des systèmes[1] dont il démêle les inconvénients et les avantages. Cette seconde production est en quelque façon une suite de la première ; mais elle a sur son aînée l’avantage d’être plus claire et moins sèchement écrite.

L’analyse est de toutes les méthodes la meilleure pour faire des systèmes. Elle renferme deux opérations qui se bornent à composer et à décomposer ses idées. Par l’une, on sépare toutes les idées qui appartiennent à un sujet, et on les examine jusqu’à ce qu’on ait découvert l’idée qui doit être le germe de toutes les autres. Par la seconde, on les dispose suivant l’ordre de leur génération. La synthèse marche par une voie bien différente : elle descend par degrés des principes généraux aux connaissances les plus particulières ; pour cela, elle se sert des notions abstraites, d’idées vagues et peu lumineuses. L’abbé de Condillac a prouvé par l’exemple des plus grands philosophes l’abus des systèmes abstraits fondés sur cette dernière méthode. Ces systèmes, selon lui, sont plus propres à éblouir l’imagina-

  1. La Haye, 1749, 2 vol. in-12.