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NOUVELLES LITTÉRAIRES

leurs intrigues, se jette avec son fils entre les bras des Spartiates pour l’attirer chez eux, ou pour les engager à faire en sa faveur la guerre aux Messéniens. L’intention de cette femme est aussi obscure dans la pièce que sa démarche était dangereuse pour elle. Sparte renvoie à Aristomène sa femme et son fils. Ce général, quoique touché de leurs bonnes intentions, les abandonne au Sénat, qui lui permet de sauver un des deux coupables ; car l’auteur veut que le fils le soit, malgré son extrême jeunesse, et l’obéissance qu’il doit à sa mère. Aristomène ne choisit point, et parce que la chose est impossible, et parce qu’il arrive un événement qui l’en empêche : deux ou trois malhonnêtes gens animent le peuple contre lui ; l’armée lui est fidèle et veut malgré lui prendre son parti ; il se met entre les deux factions et saisit son fils qu’il est prêt d’immoler en leur présence si les soldats ne s’arrêtent pas. Cette action, moins héroïque que féroce, produit l’effet qu’il en attendait. Un de ses amis le défait de ses adversaires en les tuant, et réchauffe pour lui les gens vertueux en faisant son éloge.

Le caractère de cet homme est si beau qu’il efface celui du héros dont la vertu n’est que passive. C’est un philosophe sans expérience du cœur humain, un général pacifique à contretemps, un législateur qui craint de punir, un père aussi peu tendre qu’équitable puisqu’il laisse condamner un fils innocent, un époux ingrat qui abandonne sa femme, qui avait tout fait pour lui, à la vengeance de ses compatriotes encore plus qu’à la sévérité des lois, un citoyen sans énergie puisqu’il laisse sa république en proie à trois ou quatre scélérats qui la déchirent. Ce n’est pas tant à son pays qu’il sacrifie sa femme et son fils qu’à ces gens-là qu’il n’a pas seulement la force de haïr ; en un mot, c’est un homme moitié sage et moitié imbécile, plus orateur qu’acteur, dont la patience vient d’insensibilité plutôt que de fermeté, qui est toujours dupe et martyr de ses principes et qui mérite toujours de l’être.

Au reste, les détails de cette pièce sont pleins d’esprit et même de génie. L’auteur s’exprime fortement et facilement ; des pensées neuves, sans être forcées, sentencieuses sans être froides, ont fait supporter les absurdités qui fourmillent dans ce poëme ; dans l’instant que le public était révolté par quelque événement bizarre, il venait quelques vers éclatants qui le réconciliaient