Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/314

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le prologue, qui a été fait à l’occasion de la paix, représente les Titans escaladant les cieux et foudroyés par Jupiter. Il y a des longueurs dans la versification, et il n’y a rien de piquant dans la musique. Les monts que les Titans entassent pour arriver au ciel forment le coup de théâtre le plus frappant que j’aie jamais vu ; on a évité dans ce prologue les fadeurs qui régnaient au théâtre de l’Opéra dans le dernier siècle. Les louanges de Louis XIV y étaient poussées à un excès qui nous rendait la fable de toute l’Europe. On se souvient encore qu’après nos malheurs d’Hochstædt, un officier allemand demanda d’un ton railleur à un officier français : « Hé bien, monsieur, fait-on toujours des prologues d’opéras en France ? »

Le sujet de l’opéra est assez simple. Naïs préside aux jeux isthmiques, qui se célébraient tous les ans à Corinthe en l’honneur de Neptune. Trois amants de Nais saisissent cette occasion pour déclarer leur passion. Comme ils ne peuvent rien apprendre de la beauté qu’ils adorent, Tirésie, qui lit dans l’avenir, est consultée sur le succès de leur amour. L’oracle se déclare en termes couverts pour Neptune, qui se trouve être un des trois amants, mais déguisé ; il se fait connaître, et ses feux sont couronnés.

Quoiqu’on soit à la sixième représentation de Nais, son sort ne paraît pas encore décidé ; le poëme est très-lyrique et renferme un assez grand nombre de beautés de détail ; mais il y a un peu de confusion et on n’y trouve pas assez d’intérêt. Le musicien paraît moins vif, moins nombreux, moins varié dans cet ouvrage que dans les autres qu’il a donnés. Ses chœurs sont très-beaux et peut-être supérieurs à tout ce qu’il a fait en ce genre, mais on n’est pas aussi content de ses accompagnements, qui, le plus souvent, n’ont point de rapport avec les paroles. L’harmonie mécanique suffirait en Italie ; en France nous voulons encore une harmonie imitative. Dans le second acte de ce poëme, Tirésie consulte le chant des oiseaux pour savoir ce qu’il doit répondre aux amants qui le consultent. Ce chant, qui devait être le plus brillant du poëme, a été totalement manqué par le musicien. Les ballets, qui étaient comptés autrefois pour assez peu de chose, sont presque devenus la partie essentielle de nos opéras. Maltayre, qui les composait avec assez de goût, mais sans imagination, a cédé sa place à Lany, qui y jette de la gaieté, de la vivacité et de la variété.