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L’abbé d’Olivet a toujours été en butte aux sarcasmes de l’abbé Desfontaines. Comme le premier n’avait jamais fait que des traductions et le second des ouvrages de critique, leur haine aurait dû, ce me semble, être moins vive ; ce qui fit dire à l’abbé d’Olivet : « Pourquoi l’abbé Desfontaines se déchaîne-t-il si fort contre moi ? Nous courons tous deux une carrière différente ! Il travaille à décrier les vivants, et moi à ressusciter les morts. »

Lorsque Voltaire donna sa Zaïre, elle fut reçue avec de grands applaudissements, ce qui n’empêcha pas que le parterre ne trouvât quelques endroits qui méritaient sa censure. Le poëte qui, à cet égard, a toujours été très-docile, fit tous les changements que le public avait jugés nécessaires pour la perfection de la pièce. Le comédien Dufresne, qui s’était beaucoup fatigué à apprendre une première fois son rôle, refusa opiniâtrement de mettre dans sa tête les nouveaux vers que Voltaire lui apportait tous les jours. Un stratagème heureux et singulier mit fin à ce différend. Le poëte sut que le comédien devait donner un grand dîner à ses amis. Il fit faire pour ce jour-là un pâté de perdrix et le lui envoya, avec défense à la personne qui en était chargée de dire d’où le présent venait. Il arrivait dans des circonstances trop favorables pour qu’on ne lui fît pas un accueil des plus gracieux. Dufresne le reçut avec reconnaissance, et remit à un autre temps le soin de connaître son bienfaiteur. Le pâté fut servi à l’entremets, aux grandes acclamations de tous les convives. L’ouverture s’en fit avec pompe et avec la même curiosité que si l’on eût assisté à la première représentation d’une pièce nouvelle ; mais la surprise égala la curiosité et le plaisir surpassa la surprise à la vue de douze perdrix tenant chacune dans leur bec plusieurs billets qui, semblables à ces feuilles mystérieuses dont se servaient autrefois les sibylles pour exprimer leurs oracles, contenaient tous les vers qu’il fallait ajouter, retrancher ou changer dans le rôle de Dufresne. Il ne fut pas difficile alors de connaître l’auteur du présent, et il fut impossible au comédien de résister plus longtemps aux empressements du poëte et aux désirs du public.

— On vient de représenter un opéra intitulé Naïs, dont les paroles sont de M. de Cahusac et la musique de M. Rameau[1].

  1. Représenté pour la première fois le 22 avril 1749, et repris en 1764.