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Il n’a pas plutôt vu cette jeune personne qu’il prend la résolution de l’épouser, mais il y voit un grand obstacle. La comtesse, mère d’Orphise, a conçu une horreur invincible pour Clairval sur ce qu’elle en a ouï dire, et en parle avec le dernier mépris devant Clarendon qu’elle ne connaît pas pour être le même que Clairval. Celui-ci, qui sait qu’on a demandé des éclaircissements sur son compte, prévoit bien qu’on va apprendre qu’il est ce Clairval dont on méprise si fort les mœurs. La triste situation où il se trouve en ces circonstances est ce qui forme l’intérêt de la pièce, et ce qui en a donné le nom. À la fin, les choses tournent en bien et le mariage a lieu, parce qu’en même temps que la comtesse apprend que Clarendon est Clairval, elle est instruite qu’il a fait de belles actions qui effacent les errements de sa jeunesse.

Cette pièce ressemble à toutes celles de La Chaussée, excepté qu’elle est moins intéressante. Nulle gaieté, point de comique, fort peu d’action et encore moins de vraisemblance. Un style qui n’est ni vers, ni prose. C’est toujours de la morale de cet auteur, c’est-à-dire la plus triste et la plus commune. Clarendon y a les remords que donnent les grands crimes, et il n’a commis que quelques égarements de jeunesse. Après tout, le plus grand défaut de cette comédie c’est qu’on en aperçoit d’abord le dénoûment, de sorte que le spectateur, n’étant point inquiet du sort de Clarendon, ne saurait s’y intéresser.

Le genre de La Chaussée est assez singulier, et c’est toujours une espèce de mérite. Cet auteur, ne se sentant pas le talent de travailler dans le genre reçu, a voulu se faire une route nouvelle. Molière trouvait les ridicules, et les corrigeait en amusant ; La Chaussée peint la vertu, et invite à l’imiter ; ses pièces ne respirent que les bonnes mœurs et une espèce d’austérité en fait de morale. Cela n’est point plaisant, mais c’est satisfaisant pour les gens qui n’ont jamais eu de passions bien vives, ou qui en sont revenus. Malheureusement pour La Chaussée, ceux qui fréquentent les spectacles ne sont pas, la plupart, de ce nombre‑là. Dans le temps que Voltaire était ami de La Chaussée, il prit la défense de son genre dans ce vers :

Tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux.

Nous n’avons point eu d’hiver cette année à Paris, et on a