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ingénieux, mauvais critique, il aime les sciences abstraites et l’on ne s’en étonne point ; l’imagination est son élément, mais il n’a point d’invention, et l’on s’en étonne. On lui reproche de n’être jamais dans un milieu raisonnable : tantôt philanthrope, tantôt satirique outré. Pour tout dire, en un mot, M. de Voltaire veut être un homme extraordinaire, il l’est à coup sûr.

Non vultus, non color unus.

— Notre théâtre lyrique ne retentit pas toujours de chansons nobles et majestueuses. Apollon, qui y présidait autrefois sous le nom de Quinault, et depuis, mais rarement, sous ceux de Fontenelle, de La Motte, Roy, etc., abandonne aujourd’hui la lyre aux habitants du bourbier des ondes aganippides, et vous jugez quels sons ils doivent tirer. Ainsi, ne soyez point étonnée du ballet de Platée, qu’on a représenté pendant ce carnaval[1]. Le sujet de ce poëme est proprement la guérison de la jalousie de Junon, que Jupiter se propose d’opérer en feignant d’être amoureux de Platée, reine des grenouilles.

Cythéron, roi de Grèce, ouvre la scène en faisant des plaintes contre le mauvais temps ; il est interrompu par l’arrivée de Mercure, à qui il demande l’explication de la pluie et du vent qui désolent les champs et les coteaux de son royaume. Le messager des cieux lui dit que c’est la jalousie de Junon qui trouble les éléments, et que Jupiter commence à s’impatienter, qu’il lui cherche quelque doux amusement pour le distraire. « Mais, lui dit Cythéron, ne pourrait-on point, par quelque ruse, guérir cette épouse jalouse ? Qu’il feigne les apprêts d’un nouvel hymen. — Et si l’objet paraissait aimable aux yeux de Junon ? dit Mercure. — Ne craignez rien ; l’objet que je vous propose, répond Cythéron, est une naïade ridicule qui habite ce marais et qui croit tous les hommes amoureux d’elle ; que Jupiter lui propose un engagement ; informez-en Junon, excitez ses alarmes, et nous l’attendront à l’éclaircissement. Tenez, jetez les yeux de ce côté et jugez si l’objet est charmant. » Platée parait dans l’instant et entretient sa confidente du goût qu’elle a pour

  1. Représenté le 4 février 1749. Paroles d’Autreau et de Ballot de Sauvot.