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use le fourreau. Gai par complexion, sérieux par régime, ouvert sans franchise, politique sans finesse, sociable sans amis, il sait le monde et l’oublie. Le matin Aristippe, et Diogène le soir, il aime la grandeur et méprise les grands ; est aisé avec eux, contraint avec ses égaux. Il commence par la politesse, continue par la froideur, finit par le dégoût. Il aime la cour et s’y ennuie ; sensible sans attachement, voluptueux sans passion, il ne tient à rien par choix et tient à tout par inconstance, raisonnant sans principes ; sa raison a ses accès, comme la folie des autres. L’esprit droit, le cœur injuste, il pense et se moque de tout. Libertin sans tempérament, il sait aussi moraliser sans mœurs ; vain à l’excès, mais encore plus intéressé, il travaille moins pour la réputation que pour l’argent ; il en a faim et soif. Enfin il se presse de travailler pour se presser de vivre. Il était fait pour jouir, il veut amasser, voilà l’homme.

« Voici l’auteur. Né poëte, les vers lui coûtent trop peu. Cette facilité lui nuit, il en abuse et ne donne presque rien d’achevé. Ecrivain facile, ingénieux, élégant : après la poésie, son métier serait l’histoire, s’il faisait moins de raisonnements et point de parallèles, quoiqu’il en fasse quelquefois d’assez heureux.

« M. de Voltaire, dans son dernier ouvrage, a voulu suivre la manière de Bayle ; il tâche de le copier en le censurant ; on a dit depuis longtemps que, pour faire un écrivain sans passion et sans préjugé, il faudrait qu’il n’eût ni religion ni patrie ; sur ce pied-là, M. de Voltaire marche à grands pas vers la perfection. On ne peut d’abord l’accuser d’être partisan de sa nation, on lui trouve au contraire un tic approchant de la manie des vieillards : les bonnes gens vantent toujours le passé, et sont mécontents du présent. M. de Voltaire est toujours mécontent de son pays et loue avec excès ce qui est à mille lieues de lui. Pour la religion, on voit bien qu’il est indécis à cet égard ; sans doute il serait l’homme impartial qu’on cherche, sans un petit levain d’antijansénisme un peu marqué dans ses ouvrages.

« M. de Voltaire a beaucoup de littérature étrangère et française, et de cette érudition mêlée qui est si fort à la mode aujourd’hui. Politique, physicien, géomètre, il est tout ce qu’il veut, mais toujours superficiel et incapable d’approfondir. Il faut pourtant avoir l’esprit bien délié pour effleurer comme lui toutes les matières. Il a le goût plus délicat que sûr ; satirique