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serand de la ville du Mans[1] vient de traduire en vers latins le poëme plus connu qu’estimé de M. Racine sur la religion. On a lu quelque chose de cette traduction à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, et on n’a pas été mécontent, M. le chancelier, qui est instruit régulièrement de tout ce qui se passe dans la littérature, n’a pas plus tôt appris ce qui regardait l’ouvrier du Mans qu’il lui a envoyé dix pistoles. La médiocrité de ce présent vous portera sans doute à juger que le chef de notre justice étend trop loin le proverbe de Charles IX, qui avait accoutumé de dire qu’il fallait bien nourrir les poëtes, mais qu’il ne les fallait pas engraisser.

— Il n’y a point d’étude aussi négligée en France que celle du droit public. Le peu d’ouvrages que nous avons sur cette matière sont fort mauvais, et quand même ils auraient été bons, ils n’auraient pas été lus. Il fallait un très-grand homme, et, qui bien plus est, un homme à la mode, pour changer sur cela le goût de la nation. M. le président de Montesquieu vient d’opérer ce changement. Ce livre, intitulé l’Esprit des lois, imprimé depuis quelques mois à Genève et réimprimé depuis peu de jours furtivement à Paris, a tourné la tête à tous les Français. On trouve également cet ouvrage dans le cabinet de nos savants et sur la toilette de nos dames et de nos petits-maîtres. Je ne sais si l’enthousiasme sera long, mais il est certain qu’il ne peut pas être poussé plus loin. J’aurai l’honneur de vous entretenir, dans ma première lettre, de cet important ouvrage. Je vous dirai, avec ma candeur ordinaire, l’impression qu’il aura faite sur moi et le jugement que nos connaisseurs en auront porté. On instruit son procès ; peut-être n’avons-nous pas beaucoup de juges capables de le juger.

— Il n’y a point eu d’hiver depuis longtemps qui ait moins donné d’ouvrages à la nation que celui-ci. On nous promet pourtant deux histoires assez importantes : la première est du célèbre Pelisson ; elle contiendra ce qui s’est passé depuis la paix des Pyrénées jusqu’au traité de Nimègue, et paraîtra au commencement du carême. La seconde est l’Histoire de Pologne, par M. le chevalier de Solignac, secrétaire des commandements

  1. Étienne Bréard. Des fragments de cette traduction ont été insérés dans les Essais historiques sur le Maine, de P. Renouard, 1811, 2 vol. in-12.