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tragédie elle-même. Je crois vous faire plaisir en copiant ici cette singularité.


Madame,

« Je me jette aux pieds de Votre Majesté. Vous n’assistez au spectacle que par condescendance pour votre auguste rang, et c’est un des sacrifices que votre vertu fait aux bienséances du monde. J’implore cette vertu même, et je la conjure avec la plus vive douleur de ne pas souffrir que ces spectacles soient déshonorés par une satire odieuse qu’on veut faire contre moi à Fontainebleau, sous vos yeux. La tragédie de Sémiramis est fondée d’un bout à l’autre sur la morale la plus pure, et par là, du moins, elle peut s’attendre à votre protection.

« Daignez considérer, madame, que je suis domestique du roi, et par conséquent le vôtre. Mes camarades, les gentilshommes ordinaires du roi, dont plusieurs sont employés dans les cours étrangères, et d’autres dans des places très-honorables, m’obligeront à me défaire de ma charge, si j’essuie devant eux et devant toute la famille royale un avilissement aussi cruel. Je conjure Votre Majesté par la grandeur de son âme, et par sa piété, de ne pas me livrer ainsi à mes ennemis ouverts et cachés, qui, après m’avoir poursuivi par les calomnies les plus atroces, veulent me perdre par une flétrissure publique.

« Daignez envisager, madame, que ces parodies satiriques ont été défendues à Paris pendant plusieurs années. Faut-il qu’on les renouvelle pour moi seul sous les yeux de Votre Majesté ? Elle ne souffre pas la médisance dans un cabinet, l’autorisera‑t-elle devant toute la cour ? Non, madame ; votre cœur est trop juste pour ne pas se laisser toucher par mes prières et par ma douleur, et pour faire mourir de douleur et de honte un ancien serviteur et le premier sur lequel sont tombées vos bontés.

« Un mot de votre bouche, madame, à M. le duc de Fleury et à M. de Maurepas suffira pour empêcher un scandale dont les suites me perdraient. J’espère de votre humanité qu’elle sera touchée de mon état et qu’après avoir peint la vertu, je serai protégé par elle. »

La lettre de Voltaire produisit l’effet que ce grand poëte s’en était promis. La parodie fut alors condamnée à l’oubli, mais