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caractère, intitulé Thérèse philosophe[1]. Trois amours font proprement le fond de ce roman. Le premier est justifié par le fanatisme, le second, par la philosophie, le troisième, par le tempérament. Les aventures du P. Girard et de La Cadière font la matière de la première partie ; de mauvais raisonnements pour anéantir la liberté et la distinction du bien et du mal font le sujet de la seconde ; la troisième est consacrée à peindre les mœurs des personnes adonnées au désordre par état, par nécessité et par libertinage. Cet ouvrage est écrit sans goût, sans décence, sans sel, sans logique, sans style. On l’a orné de dix-huit estampes, dont quelques-unes sont très-bonnes, d’autres très-mauvaises, et toutes très-lubriques. Ce livre se vend depuis un louis d’or jusqu’à cinq. Ces sortes d’ouvrages ont rarement un prix fixe.

— Les vers que vous allez lire sont attribués à diverses personnes. La plus commune opinion est qu’ils sont de Voltaire[2]. J’y trouve bien à la vérité la manière fière, libre et hardie de ce grand poëte, mais je n’y vois pas son talent. Je souhaite que vous en portiez le même jugement que moi.

Peuple jadis si fier, aujourd’hui si servile,
Des princes malheureux vous n’êtes plus l’asile.
Vos ennemis, vaincus aux champs de Fontenoy,
À leurs propres vainqueurs ont imposé la loi,
Et cette indigne paix qu’Aragon vous procure
est pour eux un triomphe et pour vous une injure.
Hélas ! auriez-vous donc couru tant de hasards
Pour placer une femme au trône des Césars ?
Pour voir l’heureux Anglais dominateur de l’onde

  1. Thérèse philosophe, dont la Bibliographie des ouvrages relatifs à l’amour énumère les nombreuses éditions, a été tour à tour attribué à Diderot par l’avocat Barbier, au baron Th. de Tschudy par Quérard et Auguis, à d’Arles de Montigny par A. -A. Barbier, et au marquis d’Argens par M. Poulet‑Malassis, qui a fait remarquer les affinités du style de Thérèse avec celui des Lettres juives, et rappelé que par son père, alors procureur général à Aix, d’Argens connut (et il s’en vante dans ses Mémoires) les « procédures les plus cachées » de cette scandaleuse affaire.
  2. M. Desnoiresterres est d’un avis contraire. (V. t. III, p. 241.) D’après les recherches faites par lui dans les archives de la préfecture de police, ces vers seraient du poëte Desforges, auteur d’une Lettre sur la tragédie de Sémiramis, à qui ils valurent six années de cage de fer au Mont Saint-Michel. Ils ont été attribués par Morellet à l’abbé Sigorgue, et reproduits dans la Vie privée île Louis XV, de. Moufle d’Angerville, ainsi que dans le Journal de Barbier.