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quelle tendresse d’expression dans les Lettres d’une Péruvienne ! Il semble que l’Amour ait prêté son pinceau à Mme de Graffigny et que les Grâces l’aient dirigé ; il n’en est pas de même de l’auteur des Lettres d’Aza. Son style est dur, haché et peu correct, plat lorsqu’il est original, ridicule quand il devient la copie des Lettres Péruviennes.

Les nouvelles lettres ne sont pas des réponses adressées directement à Zélia (Aza ignore où elle est), mais au confident d’Aza. Aza est esclave des Espagnols ; son patron, honnête homme, le traite avec beaucoup de douceur. Il a une fille qui devient amoureuse de cet étranger, mais sans lui déclarer sa passion ; elle tombe dans une maladie de langueur qui la conduit à deux pas du tombeau. Elle découvre à son père l’amour qu’elle a pour Aza. Le pauvre Alonzo court chercher Aza, et lui demande s’il veut que sa fille périsse. Aza s’approche du lit de sa fille, et sa présence la rappelle à la vie. Cependant Aza ne répond point encore à sa tendresse. Zélia règne toujours dans son cœur. Au moment qu’on y pense le moins il se convertit à la religion des Espagnols et épouse la fille d’Alonzo sur la persuasion que Zélia ne vit plus. Il apprend, quelque temps après, que Zélia n’est point morte : il veut aller dégager ses serments, mais en vain.

L’auteur a imité son modèle autant qu’il a pu, mais avec peu de succès ; il a effleuré les mœurs des Espagnols, à l’exemple de Mme de Grafiigny lorsqu’elle décrit les ridicules des Français, et ce n’est pas ce qu’il y a de meilleur dans les Lettres d’une Péruvienne. Alonzo est un bon Espagnol qui instruit Aza avec le même soin que Déterville instruit Zélia, à l’exception que Déterville est amoureux de Zélia, et qu’il a fallu donner une fille à Alonzo pour la rendre amoureuse d’Aza ; mais cet épisode n’est point intéressant. La très-grande jeunesse de l’auteur de ces Lettres permet d’espérer qu’il fera mieux un jour.

— Le Catilina de Crébillon, attendu depuis vingt-cinq ans, fut enfin joué pour la première fois le 10 de ce mois[1]. Toute la France s’était rendue à ce spectacle, et toute la France fut désolée de ne pouvoir applaudir un ouvrage si fort annoncé. Il serait inutile de faire l’extrait d’une pièce qui sera imprimée

  1. Le 10 décembre 1748.