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roux avec ordre de ne les lui donner que lorsqu’il serait question d’aller jouer chez le roi. Riupéroux les alla jouer, et les perdit.

— Ou vient d’imprimer la tragédie de Denys le Tyran, dont j’ai eu l’honneur de vous entretenir autrefois. Il y a dans cette pièce de très-bons vers, mais ils sont épiques et non pas tragiques ; de grandes maximes, mais elles vont à l’esprit et non pas au cœur ; des situations hardies, mais elles causent la surprise et non pas l’attendrissement. Cette tragédie porte sur l’amour de la patrie, et c’est à cela, je crois, qu’elle a dû son succès. Depuis que je fréquente le théâtre, j’ai remarqué que toutes les pièces qui roulaient sur ce pivot ne manquaient jamais de réussir.

— Souffrez que j’interrompe ici mes nouvelles littéraires pour vous en raconter une d’un autre genre, qui fait le sujet des conversations de tout Paris. C’est un secret nouveau, inventé par une femme, et découvert par un mari qui a bien voulu en faire part au public. Voici l’histoire, qu’il faut reprendre d’un peu haut pour la rendre plus intéressante :

M. Le Riche de La Popelinière, fermier général, devint amoureux, il y a quelques années, d’une nommée Mlle Deshayes, fille de la Mimi-Dancourt, comédienne de la Comédie-Française : son amour n’eut pas d’abord de succès, sa figure ne prévenait pas en sa faveur ; mais il avait la bourse d’un financier, et le chemin eût été frayé soudain s’il en eût délié les cordons. D’un autre côté, la demoiselle avait des engagements avec deux seigneurs de la cour des mieux faits, et elle ne pouvait rompre avec bienséance qu’étant parfaitement assurée d’un autre engagement moins brillant, mais plus solide. Elle se conduisit adroitement dans une conjoncture aussi délicate. Elle prévint ses amants, et leur fit voir la fortune qu’elle allait faire si elle pouvait attraper le financier. Ces messieurs s’y prêtèrent de bonne grâce. On convint qu’on porterait les premières paroles à notre financier. On prit le moment où le pauvre amant morfondu poussait des soupirs à toucher le cœur le plus dur. On le plaignit, mais on lui proposa le remède. Il ne fut pas question sur-le-champ de mariage, on lui fit entendre seulement que la demoiselle n’était pas une fille ordinaire, et qu’il fallait acheter très‑cher les moments de complaisance qu’elle aurait