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Regnard le fit en vers et de Rivière en prose ;
En chercAinsi, pour dire au vrai la chose,
En chercChacun vola son compagnon.
Mais quiconque aujourd’hui voit l’un et l’autre ouvrage
En chercDit que Regnard a l’avantage
En chercD’avoir été le bon larron.

M. de La Fosse, auteur de la très-belle tragédie de Manlius Capitolinus, était très-distrait. On cite de lui mille traits en ce genre qui sont singuliers. Un seul suffira pour vous donner une idée de son caractère. Je l’avais prié à dîner chez moi avec quelques personnes de lettres, dit M. Titon du Tillet ; il m’avait promis de s’y rendre, mais l’ayant attendu inutilement jusqu’à deux heures, on se mit à table. Notre poëte arriva sur les quatre heures, très-fatigué, et me fit quelques excuses d’arriver si tard, en m’assurant qu’il était parti sur les onze heures du matin de chez lui pour venir chez moi, qui étais très-proche, mais qu’il avait l’esprit si rempli et si échauffé de cinq ou six vers d’un des plus beaux endroits de l’Iliade, qu’il voulait traduire en français, qu’il avait passé à côté de ma porte sans se souvenir de la partie que je lui avais proposée, et qu’après avoir beaucoup couru il s’était trouvé dans le milieu de la plaine d’ivry où, s’étant fort fatigué le corps et l’esprit, la faim l’avait réveillé et lui avait rappelé à la mémoire le dîner où je l’avais invité. Il fut le bienvenu, et on lui servit de quoi satisfaire son appétit. Le savant M. Boivin, l’un des convives, lui dit : « Monsieur de La Fosse, je suis presque sûr que voilà les vers d’Homère qui vous ont si fort occupé, » et les récita comme on les prononce dans l’Université de Paris. La Fosse lui répondit : « Non, monsieur, et les voici, » et dit les mêmes vers suivant la prononciation du collège des jésuites. « Eh bien, dit M. Boivin, ce sont les mêmes vers, vous les avez prononcés autrement que moi. »

L’abbé Brueys et Palaprat, auteurs de la célèbre comédie du Grondeur, sont célèbres parmi nous pour leurs naïvetés et pour leurs saillies. Ils logeaient ensemble et avaient tous deux la vue basse. On dit que, comme ils prenaient du thé tous les matins, ils étaient obligés d’attendre sur l’escalier que quelqu’un passât pour le prier de voir si l’eau qu’ils avaient mise devant le feu bouillait, afin d’y jeter le thé. Palaprat, qui avait suivi MM. de Vendôme en Italie, envoya à Paris, à l’abbé