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tion du dauphin, un livre qui a pour titre l’Étude des souverains, ce prince en fut si content qu’il se le fit lire plusieurs fois, et il en crut l’auteur si capable de contribuer à former la jeunesse d’un grand prince qu’il lui fit l’honneur de le nommer sous‑précepteur de Monseigneur ; mais comme Boursault n’avait jamais étudié le latin, il ne put pas occuper un poste si honorable.

Boursault faisait en vers, tous les huit jours, une gazette qui plaisait beaucoup au roi et à toute la cour. Une semaine s’étant trouvée stérile en nouvelles, le gazetier se plaignit à la table de M. le duc de Guise de n’avoir rien de divertissant dont il put remplir sa gazette. Ce prince s’offrit alors à lui donner un sujet tout propre à réjouir le roi et la cour. C’était une aventure arrivée à la porte de l’hôtel de Guise, chez une brodeuse fort en vogue, où les capucins du Marais faisaient broder un saint-François. Un jour que leur sacristain était allé chez la brodeuse voir où en était l’ouvrage, il s’endormit profondément la tête sur le métier où il regardait travailler. L’habile et malicieuse ouvrière, qui en était à broder le menton du saint, saisit l’occasion favorable d’ajuster artistement la longue barbe du révérend père, pour composer en diligence la barbe de saint François. Au réveil du religieux, aussi étonné qu’indigné de se trouver pris par un endroit qu’il croyait si respectable, il y eut un débat assez plaisant entre lui et la brodeuse pour savoir à qui resterait cette barbe, et si ce serait au saint fondateur ou à son humble disciple qu’on serait forcé de la faire. Ce fut dans cette aventure que le jeune auteur, en brodant une seconde fois cette vénérable barbe, fit la plus jolie de toutes ses gazettes par un esprit de badinage et nullement d’impiété. Le roi, qui était jeune, en rit beaucoup et n’y trouva point à redire. La vertueuse reine Marie-Thérèse, qui était la piété même, ne laissa pas d’en rire aussi et n’en fut point scandalisée. Toute la cour, à l’envi, en apprit les vers par cœur. Mais le confesseur de cette princesse, qui était un cordelier espagnol, n’entendit pas raillerie. Irrité encore par les capucins qui criaient vengeance contre l’outrage fait à leur séraphique père, il mit le scrupule dans l’esprit de cette pieuse reine et l’obligea de demander au roi une punition exemplaire. Sa Majesté voulut par bonté tourner la chose en raillerie, et dit même à cette princesse tout ce qu’il put pour l’adoucir ; mais, la voyant obstinée à le prendre au sérieux, il la laissa la